Le témoignage de Hugh Johnston lorsqu'il était encore étudiant en médecine, à l'Université du Wisconsin.
Durant mes études
de médecine, mes professeurs étaient des gens reponsables qui réalisaient que
les étudiants ont souvent du mal à se comporter correctement face à l’agonie et
à la mort.
C’est pourquoi
nous avions à lire plusieurs articles et des livres sur ce sujet et à
participer à des groupes de discussion où le problème de la mort était
longuement traité. Nous parlions des maladies terminales, de l’euthanasie, des
expériences de la mort que nous avions pu avoir dans nos familles, et même de
comment nous envisagions notre propre mort. Ces réunions ont duré six mois à la
fin desquels nous avons eu à remettre un mémoire. A l’époque tout cela me semblait
raisonnable et on quittait ce cours avec le sentiment d’avoir appris à maîtriser
un domaine de plus.
L’année suivante,
j’ai fait la connaissance à l’hôpital de M. G.
C’était un
militaire, la cinquantaine, célibataire, sans famille. Il était arrivé
fortement à bout de souffle, avec une hemoptysis presque constante, héritage de
30 années de cigarettes.
Nous ne pouvions
pas grand’chose pour lui car on avait déjà tout essayé : chirurgie,
chimiothérapie, radiations. Pourtant, comme d’habitude, la tumeur continuait de
se développer dans ses poumons.
Il passa les deux
premiers jours assis au lit, en essayant de respirer et en toussant des
particules ensanglantées.
Nous essayions
tous de l’aider du mieux que nous pouvions et il nous en était reconnaissant.
Mais il savait que la fin était proche et parfois, au cours d’une quinte de
toux, lorsqu’il s’étranglait plus fortement, je pouvais lire la terreur dans
ses yeux.
Je m’arrêtais
dans sa chambre aussi souvent que possible pour prendre de ses nouvelles. A mes
« ça va » il répondait en secouant la tête, « pas bien ».
Le troisième jour
de son hospitalisation un infirmière est entrée en courant dans la salle de
garde en nous demandant de venir vite parceque M.G allait très mal.
Nous l’avons
trouvé assis dans son lit avec sur les genoux un bassin déjà à moitié rempli de
sombres caillots. Il luttait terriblement, s’étouffant dans son propre sang.
Son visage était
cramoisi, les yeux exorbités par la peur.
Comme le
saignement empirait, la lutte devenait plus douloureuse. Il pouvait de moins en
moins respirer et s’étranglait horriblement. Il essayait violemment de prendre
sa respiration mais en était empêché par une quinte de toux et un étouffement.
De grandes
quantités de sang coulaient de son nez et de sa bouche, le long de son menton,
jusque sur ses genoux.
Lorsque la toux
le prenait il nous éclaboussait de son sang. Il faisait un son horrible, comme
quelqu’un qui crierait sous l’eau.
L’infirmière et
moi tentions de l’aider le mieux possible.
J’essayais de
maintenir le masque à oxygène proche de lui mais vide de sang ; elle
essayait de l’aider à retirer les plus gros caillots qui obstruaient sa bouche
et sa gorge. L’interne insistait au téléphone pour obtenir de l’aide. Mais
c’était sans espoir. Le sang continuait d’affluer et la scène devenait de plus
en plus macabre. Il avait comme une barbe de caillots ensanglantés qui
tressaillait lourdement autour de son nez et de son menton. Entre chaque crise
il se balançait d’avant en arrière en murmurant « oh s’il vous plaît, s’il
vous plaît ».
Soudain tout
devînt silencieux : ce devait être un gros caillot. Il avait la bouche
ouverte mais l’air ne passait pas. Il nous regarda tout à tour, nous implorant
du regard. Nous l’avons couché sur le dos, sans succès.
Il essayait
encore désepérément de respirer, ouvrant et fermant la bouche comme une étrange
et silencieuse imitation d’un poisson. Il m’a semblé qu’il luttait ainsi en
silence durant une éternité.
Ses paupières se
sont finalement fermées et nous l’avons doucement étendu. Il continuait
faiblement d’essayer de respirer tandis que sa peau prenait une couleur
bleue-gris. Puis il a eu une attaque et il remuait dans tous les sens sur le
lit. Nous avons attendu longtemps avant que cela aussi s’arrête.
Personne ne
bougeait. L’infirmière hébétée, couverte de sang, l’interne tenant toujours le
téléphone, choqué.
Je pensais à mon
cours sur l’agonie et la mort. Il n’avait pas traité d’un vieil homme sans
défense, terrifié, mourant d’une mort horrible, terriblement douloureuse.
Les livres, les
articles, les discussions de groupe, tout cela semblait loin et inadéquat. Mais
il y avait tout près la peur, la
tristesse, la futilité.
Hugh F Johnston
Docteur en
médecine, Madison, Wisconsin
Cet article est paru dans le Journal de l’Association Médicale Américaine, JAMA, du 23/30 novembre 1984)
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