Un article de Mutations (Douala) sur les avantages fiscaux qui auraient été consentis pour l'installation de cette nouvelle société d'origine Sud-Africaine, Mc Croft Tobacco qui compte aussi des investisseurs Canadiens comme Energem. Il est intéressant de lire les quelques commentaires en ligne, plus soucieux de la santé publique et du coût des maladies induites par le tabagisme.
DOUALA - 18 AVRIL 2007
© Brice R. Mbodiam, Mutations
La nouvelle société de production de cigarettes, qui s’implantera à Douala, s’est fait octroyer d’énormes avantages par l’Etat.
Le marché camerounais de la cigarette accueillera un nouvel acteur dans les prochains mois. En effet, après la décision de la British American Tobacco (BAT) de se retirer du segment de la production (elle se contentera à partir de juillet prochain d’importer et de distribuer ses cigarettes sur le marché de la Cemac) ; ainsi que le retour de la Société industrielle des tabacs du Cameroun (Sitabac), il y a quelques semaines, une société dénommée Mc Croft Tobacco Cameroon prendra bientôt ses quartiers à Douala, la capitale économique du Cameroun. Selon des informations avérées, cette entreprise à capitaux majoritairement sud-africains, a non seulement obtenu l’agrément du gouvernement camerounais, mais aussi d’énormes exonérations au titre "d’avantages du régime des entreprises stratégiques du code des investissements".
Les textes d’application du nouveau Code des investissements adopté en 2004 étant toujours en préparation au ministère de l’Industrie, l’on subodore que lesdits avantages ont été accordés sur la base de l’ancien code des investissements, qui date de 1990. Ces "avantages", matérialisés par un arrêté signé le 27 mars 2006 par le ministre de l’Industrie, Charles Salé, courent sur une période de 17 ans repartie en deux phases : une phase d’installation dont la durée est de cinq (05) ans et une période d’exploitation dont la durée est de douze (12) ans.
Pendant sa période d’installation, la Mc Croft Tobacco Cameroon bénéficiera de sept types d’exonérations, dont les plus importantes, selon un fiscaliste consulté par Mutations, sont les exonérations sur les "droits d’enregistrement des actes d’augmentation de capitaux ; des droits d’enregistrement des baux et immeubles à usage exclusivement professionnels [10% du loyer annuel]; des taxes pour le crédits contractés pour les programmes d’investissement [2% du montant du prêt] ; des droits de mutation sur l’acquisition des immeubles, terrains et bâtiments ; et de la réduction de 50% de l’impôt sur les sociétés à partir de la première année d’imposition".
A propos de l’exonération des droits de mutations sur acquisition des immeubles et terrains, par exemple, notre fiscaliste estime que "ça, c’est une grande exonération". Et de poursuivre : "selon l’article 543 du Code des Impôts, ces droits sont fixés à 15% pour les immeubles urbains bâtis, 10 pour les immeubles urbains non bâtis et ruraux bâtis, et 5% pour les immeubles ruraux non bâtis". Ce qui signifie que si la Mc Croft Tobacco Cameroon fait l’acquisition d’immeubles dans les villes du Cameroun pour un montant global de 100 millions Fcfa, par exemple, elle s’abstiendra, contrairement à ses concurrents qui ne bénéficient pas de cette exonération, de verser 15 millions Fcfa dans les caisses de l’Etat.
Bénéfices
Il en va de même pour l’impôt sur les sociétés, dont le taux officiel est de 38,5% du bénéfice annuel de l’entreprise. En effet, l’exonération de cet impôt accordée à la Mc Croft Tobacco Cameroon, qui porte aussi bien sur la période d’installation que celle d’exploitation (17 ans au total), permet à cette entreprise de ne payer que 19,25%. Cela signifie que si cette entreprise réalise, par exemple, un bénéfice annuel de 300 millions Fcfa, elle ne versera que 4,2 millions Fcfa à l’Etat, au lieu de 11,4 millions Fcfa. Au cours des 17 ans, si le même volume de bénéfice annuel est maintenu, le fisc camerounais aura cédé, au titre du seul impôt sur les sociétés, quelque 12,6 millions Fcfa.
De manière globale, selon le fiscaliste approché par Mutations, par le biais des exonérations concédées par l’Etat à la Mc Croft Tobacco Cameroon, pour la seule période de son installation, le fisc camerounais mettra une croix sur au moins 100 millions Fcfa. Cela peut apparaître dérisoire, mais important si l’on considère que cet argent est suffisant pour financer la création d’au moins 10 petites et moyennes entreprises (Pme) pourvoyeuses d’au moins 10 emplois directs chacune. Cette cagnotte de 100 millions Fcfa est à multiplier par 10 (ce qui donne un milliard Fcfa), voire par 20 (c'est-à-dire deux milliards Fcfa), si l’on y ajoute les exonérations accordées pour la période d’exploitation (12 ans).
Il s’agit notamment, selon l’arrêté du ministre de l’Industrie, de sept autres exonérations au rang desquelles se trouvent "l’exonération du minimum exigible de l’impôt sur les sociétés (1,1% du chiffre d’affaires de l’entreprise), la réduction de 50% de l’impôt sur les sociétés (38,5 du bénéfice annuel), de la réduction de 50% de la taxe proportionnelle sur les revenus de capitaux mobiliers (16% des bénéfices à distribuer aux actionnaires), etc. Cette dernière exonération, notre fiscaliste la juge "inopportune, parce qu’elle ne concerne plus l’entreprise, mais davantage les bénéfices que doivent se partager les actionnaires au terme d’un exercice donné". Et d’ajouter "qu’il s’agit là d’un très gros avantage pour les actionnaires de cette entreprise, dans la mesure où l’impôt sur les sociétés a déjà été réduit de moitié". Précision : en plus de tous ces avantages, la sud-africaine Mc Croft Tobacco Cameroon, si le nouveau Code des investissements venait à entrer en vigueur, aura le droit de rapatrier tous les bénéfices engrangés sur le territoire camerounais.
Avantages à têtes chercheuses
A vrai dire, il faut encourager le gouvernement camerounais à accorder ce type d’avantages aux investisseurs afin de les inciter à investir au Cameroun et, par conséquent, à créer des entreprises elles-mêmes génératrices de nombreux emplois. C’est la raison pour laquelle il faut se féliciter de ces exonérations accordées à la Mc Croft Tobacco Cameroon, une entreprise qui se propose d’investir tout de même quelque 5 milliards Fcfa au Cameroun et de créer environ 150 emplois directs au bout de cinq ans. Ceci, pour une production qui évoluera de 300 millions de cigarettes au cours de la première année à un milliard de cigarettes au terme des cinq premières années de son fonctionnement. Et une masse salariale qui, au cours de la même période, passera de plus de 651 millions Fcfa à près d’un milliard Fcfa.
Mais, l’on est fondé de s’interroger sur les critères que le gouvernement camerounais prend en compte pour faire bénéficier aux investisseurs des "avantages du régime des entreprises stratégiques du code des investissements". Faut-il absolument être un homme d’affaires étranger pour en profiter? Dans ce cas, quid des investisseurs camerounais, qui, depuis des lustres, se plaignent de la pression fiscale et appellent de tous leurs vœux l’entrée en vigueur du nouveau Code des investissements? Dans la filière sucre, par exemple, au nom de la protection de l’industrie locale, seuls les trois opérateurs locaux (Sosucam, Sumocam et Nosuca) ont le monopole des importations du sucre granulé pour une transformation en sucre raffiné. Un mécanisme d’imposition est, en effet, mis en place pour décourager tout autre opérateur, camerounais ou étranger, à s’investir dans ce domaine.
Pourquoi le même gouvernement, qui protège ainsi l’industrie sucrière locale, déroule-t-il le tapis rouge aux opérateurs économiques étrangers désireux d’investir dans la filière tabac, au détriment, parfois, des investisseurs locaux ? De ce point de vue, l’on peut faire remarquer que la Sitabac, une entreprise camerounaise, qui vient de relancer ses activités après plusieurs années de passage à vide, a déjà investi, de façon cumulée entre 1984 et 2006, près de 26 milliards Fcfa, selon ses responsables, et créé quelque 500 emplois. Mais Sitabac, au même titre que BAT, qui est malheureusement en train de quitter le segment de la production (du fait de la pression fiscale, mais aussi pour des raisons stratégiques), ont-elles bénéficié des mêmes largesses gouvernementales que la Mc Croft Tobacco Cameroon? Pourtant, elles sont les concurrentes de Mc Croft Tobacco Cameroon sur le marché de la cigarette au Cameroun, mais aussi dans toute la zone Cemac.
Par ailleurs, si l’ancien code des investissements, celui de 1990, est encore en vigueur en attendant les textes d’application de celui de 2004, pourquoi n’est-il pas aussi appliqué aux opérateurs économiques camerounais, comme c’est apparemment le cas avec la Mc Croft Tobacco Cameroon? Ces exonérations, vraisemblablement à la tête du client, ne sont-elles pas propres à instaurer une concurrence déloyale entre opérateurs du même secteur? Telles sont les questions que l’on est fondé de se poser, et que Mutations, malgré de nombreuses tentatives, n’a pas pu répercuter aux responsables de la cellule de gestion du Code des investissements, porte 222 du ministère de l’Industrie. "Nous sommes à Bertoua pour le renouvellement [des organes de base du Rdpc]", a répondu l’un de ces responsables joint au téléphone lundi, 16 avril dernier.
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