En
dépit des procès et des opérations coup de poing, les entreprises - et
l’État - souffrent de plus en plus du commerce illicite de produits
fabriqués en Chine et au Nigeria.
Ras
le bol. La British American Tobacco (BAT), entreprise de tabac
internationale qui s’était implantée au Cameroun en 1986, a jeté
l’éponge au début de cette année. Désormais, la BAT-Cemac (filiale de
la BAT pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique
centrale) se contente de distribuer ses produits importés. Exit l’usine
de Yaoundé ; l’entreprise va désormais produire au Nigeria. Parmi les
raisons de son départ, le déferlement sur le marché de cigarettes
importées illégalement. La mésaventure de l’industriel du tabac vient
allonger la longue liste des victimes du commerce illicite au Cameroun.
Alors que le gouvernement de Paul Biya a fait de la lutte contre toutes
les formes de corruption son cheval de bataille, la fraude reste un
problème endémique au Cameroun.
« Les industries locales sont asphyxiées par ce phénomène », souligne
Martin Abega, secrétaire général du Groupement interpatronal du
Cameroun (Gicam), qui a mis en place une cellule de lutte contre le
commerce illicite. Celle-ci a réalisé des études sur cette question. Il
en ressort que les secteurs les plus touchés sont le textile, les
cigarettes, les piles, le sucre, la minoterie, le ciment, les produits
de consommation courante comme les détergents, les médicaments et les
produits pétroliers. Or, dans beaucoup de ces domaines, les leaders
sont des entreprises camerounaises. Le Cameroun est, en effet, l’un des
rares pays d’Afrique centrale à disposer d’un solide réseau de sociétés
locales de produits manufacturés.
Peu d’industriels acceptent d’évoquer ce problème, pour ne pas jeter
l’opprobre sur leurs activités. « Pour être efficace dans la lutte
contre la fraude, mieux vaut être discret », explique l’un des
opérateurs économiques de la place. André Fotso, membre du Gicam, est
directeur général de FME-gaz, une société locale qui fabrique des gaz
industriels, notamment des gaz réfrigérants. « Tous les jours il y a
des pirogues qui arrivent en provenance du Nigeria avec ce type de
produit à bord, qui se retrouve sur les marchés de Douala »,
déplore-t-il. Ayant par ailleurs d’autres activités moins exposées,
comme le transport, André Fotso considère qu’il n’est pas le plus à
plaindre. Mais la fraude a des conséquences beaucoup plus tragiques
pour d’autres industriels camerounais.
Industries en chute libre
La Cotonnière industrielle du Cameroun (Cicam), productrice de
pagnes, a ainsi vu débarquer à la fois la concurrence chinoise et
nigériane. S’affranchissant des droits de douane, les pagnes venus du
Nigeria voisin sont deux fois moins chers que ceux qu’elle produit.
Selon une étude du Gicam, avec moins de 2 % de parts de marché, la
Cicam est au bord de la faillite. Elle a dû procéder en 2004 à la
suppression de quelque 300 emplois sur environ 1 300.
La concurrence chinoise cause également beaucoup de tort à la société
Pilcam, filiale du groupe de l’homme d’affaires Victor Fotso, qui
produit des piles depuis 1971. L’entreprise a dû faire face à une
invasion de productions chinoises, moitié moins chères que celles
qu’elle fabrique. Résultat : la société a dû réduire ses capacités de
production de près de 20 % en 2004. Quant à Sitabac, l’entreprise
nationale de tabac, elle a fermé ses portes il y a quatre ans, vaincue
par l’invasion des cigarettes de contrebande. Mais, surprise, en mars
dernier, Sitabac annonçait la reprise de ses activités, ainsi que
l’arrivée prochaine d’un concurrent sud-africain, Mc Croft Tobacco
Cameroon. « Avec les prix que nous pratiquons, nous allons défier les
contrebandiers et jouer sur leur terrain. Je suis sûr que nous allons
nous en sortir », a déclaré James Onobiono, le directeur de Sitabac.
Reste une question : comment ? Le directeur de la Sitabac ne cache pas
qu’il espère un coup de pouce du gouvernement.
Pour répondre à cette inquiétude des milieux d’affaires, les
autorités ont mis en place, en février 2005, un comité de coordination
des opérations de lutte contre la fraude, la contrebande et la
contrefaçon. ?Cette structure est censée mettre en place des
dispositifs efficaces et faire appliquer les lois. « Certaines mesures
prises pour assainir le tissu économique ne sont, hélas, pas toujours
appliquées par l’administration douanière », déplore Martin Abega. Le
secrétaire du Gicam applaudit en revanche aux opérations coup de poing
menées sur le terrain : entre février 2005 et juin 2006, 35 000 pagnes
ont ainsi été saisis sur les marchés, ainsi que des milliers de cartons
de cigarettes, de stylos et de piles électriques.
Les douanes mises en cause
Reste que les frontières sont toujours aussi poreuses. Et que la
corruption, qui rend possible la fraude, reste une maladie camerounaise
incurable, malgré les procès et les destitutions qui s’enchaînent.
Selon le classement 2006 établi par l’organisation non gouvernementale
Tranparency International, le Cameroun est le 8e pays d’Afrique le plus
corrompu (comme en 2003), le 25e au niveau mondial. L’ONG a également
fait une étude au Cameroun en 2006. Il en ressort que la douane est le
secteur public le plus corrompu, suivie des impôts, de la police, de la
gendarmerie et du système judiciaire.
« C’est en surveillant les voies connues de la contrebande, en
faisant un effort de révision de la fiscalité, en détruisant les
produits saisis et en mettant un terme à l’impunité que l’on réduira
sérieusement le niveau actuel de la fraude et du commerce illicite »,
plaide Martin Abega, au nom des patrons qu’il représente. Du côté de
l’impunité, la partie semble encore loin d’être gagnée. En revanche,
s’agissant de la fiscalité, les autorités ont les moyens d’agir en «
allégeant le poids fiscal pour les entreprises », selon les vœux du
Gicam. Plus précisément, le syndicat patronal plaide pour une
exonération fiscale la première année de la création d’une entreprise.
Ces propositions ont été reprises dans le cadre des réformes fiscales.
La loi de finances 2007 prévoyait déjà un abattement fiscal de 5 % sur
les investissements productifs. « Hélas, soupire Martin Abega, ce volet
n’est toujours pas entré en vigueur. »
Cependant, pour Jean-Pierre Le Boulicaut, le directeur général des
Cimenteries du Cameroun (Cimencam), l’État n’a pas forcément vocation à
éradiquer la fraude à lui seul. « Les autorités font leur travail, nous
n’avons jamais eu de problème », explique-t-il. Le directeur général
reconnaît néanmoins que Cimencam ne souffre pas de concurrence
déloyale. Le ciment nigérian étant plus cher que le camerounais, la
contrefaçon inexistante, Cimencam jouit d’une position dominante que
personne ne lui conteste. L’entreprise n’en a pas moins pris des
mesures internes pour éviter la fraude. Par exemple, une sorte de «
prime » est accordée aux employés qui alertent sur les petits trafics
au sein de la société. Évidemment, la solution pour combattre la
corruption serait que les acteurs économiques fassent preuve de plus de
moralité… Un vœu pieux sans doute. |
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