TCA a interrogé via email les récipiendaires de la médaille de l'OMS pour l'année 2010. Voici les réponses que nous a envoyées Pascal Bogui. Vous pourrez voir que Pascal ne mâche pas ses mots en ce qui concerne son apprécaition de la situation en Côte d'Ivoire. A ce propos nosu restons toujours sans réponse du représentant de la Côte d'Ivoire à l'ONU quant à sa non transmission de l'intrument de ratification du traité anti-tabac.
Cher Philippe,
Voici mes réponses. Elles sont courtes car je suis un peu déconnecté de la lutte anti tabac, le Ministère m'ayant retiré toutes mes responsabilités vis à vis de ce domaine.1. Vous venez de recevoir la médaille de l'OMS dans le cadre de la Journée Mondiale sans tabac 2010. Quelles sont vos premières réactions à cette récompense?
Ma réaction est doubleEn premier lieu, il s'agit d'un sentiment de satisfaction au regard de la reconnaissance que l'OMS manifeste à l'endroit de mes collaborateurs et de moi-même pour le travail difficile accompli en faveur de la lutte contre le tabac de 2001 à ce jour en Côte d'Ivoire.
Toutefois, cette satisfaction est profondément altérée par la déception que mon équipe et moi-même partageons du fait d'une part du non aboutissement du processus de ratification de la CCLAT, et d'autre part par l'affaiblissement que la lutte contre le tabac a subi depuis que ses activités ont été noyés dans celles de la lutte contre l'alcool, la drogue et les autres addictions par la création en 2008 d'un programme national renfermant toutes ces composantes.
2. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de la situation de la lutte antitabac aujourd'hui dans votre pays?
Je pense que la lutte anti-tabac en Côte d'Ivoire est quasi inexistante, du moins au plan opérationnel. Les raisons sont multiples et il serait trop long ici de les énumérer. En résumé, nous dirons que les intérêts économiques priment trés largement devant les préoccupations socio-sanitaires. De mon point de vue, il n'y a pas de volonté politique significative à promouvoir la lutte anti-tabac en Côte d'Ivoire. C'est mon opinion profonde, et je l'assume.
Je pense aussi que dans bien des pays africains qui ont ratifié la CCLAT depuis plusieurs années, la lutte anti-tabac n'a pas véritablement avancé, pour la même raison : insuffisance de volonté politique : les mêmes causes produisent les mêmes effets !
3. La Fondation Gates a accordé plus de 20 millions de dollars pour promouvoir la lutte antitabac en Afrique par le biais de contrats avec le CRDI, l'Organisation Mondiale de la Santé, la Société Américaine du Cancer et un Consortium Associatif Africain. Etes-vous partie prenante de ces projets et qu'en espérez-vous pour votre pays et pour l'Afrique en général?
Depuis 2008, je ne suis plus le Point Focal du ministère de la santé pour la lutte anti-tabac, mes fonctions au niveau du programme ayant été limitées exclusivement à celles de la recherche, lesquelles ne relèvent d'ailleurs pas de ce ministère, mais plutôt de mes fonctions universitaires. Aussi, et pour ne pas lui faire ombrage, ai-je laissé la latitude à la nouvelle équipe du programme de procéder elle-même, au vu des activités déjà menées, au choix de la politique et des activités à mener, ainsi qu'à la recherche des sources de financement de ses projets, si tant qu'elle en ait.Pour ma part, je salue les initiatives d'appuis financiers à la lutte anti-tabac, car la lutte anti-tabac s'apparente à une guerre à livrer contre l'industrie du tabac, et l'argent reste le nerf de la guerre : pas d'argent, pas de lutte anti-tabac. Mais si l'argent est nécessaire, il ne constitue pas une condition suffisante : il faut une volonté politique, de laquelle naîtra des projets de lutte anti-tabac? Et cette volonté politique ne peut pas venir de l'extérieur. Tant que celle ci ne sera pas clairement affichée par le Pouvoir Public en charge de cette lutte, toute action ou tout projet anti-tabac sera vouée à l'échec. Car le politique dispose de tous les moyens pour rendre insignifiant, méconnu ou contradictoire un projet qu'en apparence il soutient. Aussi, et dans un tel contexte, il vaut mieux s'abstenir de réclamer des fonds qui pourraient servir plus efficacement à d'autres projets ailleurs sur notre continent. En matière de lutte anti-tabac, il faut être pragmatique, en gardant à l'esprit de "gaspiller l'argent de la lutte anti-tabac" ne fait que servir les intérêts de l'industrie du tabac.
4. si vous pouviez formuler un ou plusieurs voeux pour le développement de la lutte antitabac dans votre pays, qu'est-ce-qui vous tiendrait le plus à coeur?
Sans hésiter : que mon pays puisse enfin ratifier la convention cadre de lutte anti-tabac de l'OMS, et qu' il retrouve la volonté politique de lutte anti tabac qui l'animait en 2002 - 2003, période pendant laquelle la Côte d'Ivoire était considérée, à juste titre, comme un des leaders de la lutte anti-tabac en Afrique.
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