Luc Bihl, décédé d'un cancer du poumon le 1er août 1997, à 58 ans, était le premier avocat de référence du CNCT. C'est son obstination qui avait convaincu les magistrats parisiens d'augmenter sensiblement les dommages-intérêts accordés au CNCT alors que les associations de consommateurs n'obtenaient en général qu'un franc symbolique. Je l'avais interrogé durant l'été 1991 alors que nous avions également reproduit dans notre lettre d'information un article qu'il venait de publier dans la Gazette du Palais sur l'évolution de la jurisprudence et les nouveautés apportées par la loi Evin par rapport à la loi Veil.
Je reproduis quelques extraits toujours pertinents:
"Nous sommes plutôt frustrés devant la multitude des infractions dont nous ne poursuivons qu'une infime partie!
Luc
Bihl: L'échéance fatidique de 1993 où toute publicité sera interdite
pousse à toutes les audaces. Par ailleurs, les pénalités (pourtant déjà
lourdes par rapport à d'autres infractions) devraient être encore
renforcées pour devenir vraiment dissuasives. Tant qu'il sera plus
profitable de violer la loi même en étant condamné, on ne voit pas
pourquoi cette délinquance cesserait...
Les campagnes de publicité
effectuées malgré la loi Veil par les grandes marques de tabac
représentent chaque année des dizaines de millions de francs. Une
quatrième de couverture dans un grand hebdomadaire coûte aux alentours
de 250.000 francs et il est rare que chacun d'eux ne publie pas, chaque
semaine, jusqu'à cinq pulbicités en faveur de Camel, Marlboro, Winston
ou Gauloises. Depuis quelques mois les tribunaux prononcent des peines
atteignant fréquemment 250.000 francs, voire 300.000 francs d'amende,
soit le maximum prévu par la loi de 1976.
De telles amendes
restent cependant très loin des réalités économiques: une amende de
300.000 francs représente à peine une page de publicité et apparaît
finalement comme, sinon dérisoire, du moins bien faible par rapport aux
intérêts économiques en jeu... Les nouvelles sanctions sont plus
dissuasives mais il reste à savoir si ce texte sera appliqué réellement
et les infractions poursuivies ou si, comme sous l'empire de la loi de
1976, il faudra s'en remettre à une association, le CNCT, pour faire
respecter la loi."
Malheureusement Luc avait vu juste et le nombre
d'affaires qu'il a eu à plaider montre que les sanctions ne sont pas
devenues plus dissuasives et que les procureurs ont continué de
s'abstenir de poursuivre la déliquance des industriels du tabac.
A titre d'exemple, l'une des dernières plaidoieries qu'il a effectuée concernait la campagne lancée dans la presse par Philip Morris Europe pour critiquer les interdictions de fumer dans les lieux publics et tourner en ridicule les données scientifiques sur les dangers du tabagisme passif. Chaque campagne représentait pour une cinquantaine d'annonces un budget d'environ 10 MF. Quel était le pouvoir dissuasif d'une condamnation de 500.000F voire 1MF?
Au delà des poursuites contre les publicités illicites, il avait aussi plaidé pour faire appliquer les interdictions de fumer dans les lieux publics (notamment les plaintes contre la SNCF à Paris et Lyon) et représenté Rose Ozeir, décédée à 45 ans d'un cancer du poumon alors qu'elle était non-fumeuse mais avait subi malgré elle pendant 17 ans le tabagisme de ses collègues de travail. Si ce dossier n'avait pas pleinement abouti, les magistrats avaient cependant estimé que l'employeur avait commis une faute en négligeant de faire appliquer le décret du 29 mai 1992 et ils avaient reconnu que le tabagisme passif pouvait être mortel. Vous pouvez observer une minute de silence en mémoire du pionnier que fût Luc Bihl alors que la Cour de Cassation vient de confirmer que le non-respect par l'employeur de l'interdiction de fumer sur les lieux de travail constitue un motif de rupture légitime du contrat de travail pour lequel il doit indemniser le salarié qui l'invoque (Chambre sociale, arrêt 1698 du 29 juin 2005, disponible en ligne sur le site de la Cour ou sur mon blog).
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