J'ai peine à reconnaître que l'aventure des "affiches de Quimper" a commencé il y a aujourd'hui 15 ans, à l'automne 1990. En octobre 1990 la Seita commande à 45 graphistes une affiche originale inspirée de la fameuse image créée par Max Ponty pour Gitane.
Parmi eux, deux graphistes contestaires dont je vais bientôt faire la
connaissance, Gérard Paris-Clavel et Alain Le Quernec. Tous deux
décident de ne pas ménager la Gitane et le produit qu'elle promeut:
Paris-Clavel la représente en faucheuse mortelle et Le Quernec la tue
avec une blessure en forme de brûlure de cigarette! Il y ajoute un
slogan brutal: la pub tue.
On imagine la réaction de la Seita qui cherchera -en vain- à censurer sa commande.
A la même époque, Alain Le Quernec qui est aussi professeur d'arts
plastiques au collège Brizeux de Quimper propose au Maire, le
socialiste Bernard Poignant pour lequel il a réalisé une affiche, de
subentionner une campagne d'affichage sur un thème d'utilité publique
dont les images seraient conçues par des élèves de troisième et qui
seraient exposées dans 70 emplacements de la ville.
Le Maire ayant accepté sa proposition, il engage avec ses jeunes élèves
une réflexion sur le thème "la pub tue" qui va s'exprimer plus
précisément sur la publicité en faveur des cigarettes.
Les images promotionnelles pour les principales marques de cigarettes
sont alors omniprésentes dans la presse et ailleurs, incitant à
consommer un produit aux effets tragiques sur la santé en masquant
habilement ces conséquences. D'où l'idée de détourner ces symboles de
promotion et de les transformer en messages de vérité quant à la
nocivité du tabac mais aussi en interpellation accusatrice des méthodes
et de l'idéologie publicitaires. A partir du 17 avril 1991 les 5
affiches "détournées" au slogan "la pub tue" surgissent dans les rues
quimpéroises: une tête de mort surmontée du casque de Gauloises, une
gitane aux mains en forme de pinces de crabe cancérigène, un squelette
de chameau dont la marque annonce cancer dans les mêmes caractères que
Camel, un aviateur Chevignon (du nom de la nouvelle marque que veut
lancer la Seita) avec le slogan "poil au poumon" et un paquet aux
couleurs de Marlboro dont s'échappe une mare de goudron.
Succès et scandales immédiats. Les fabricants réagissent en assignant
aussitôt la ville et le collège pour exiger le retrait des affiches qui
mettent en cause leurs marques. Ils obtiennent gain de cause le 29
avril, au moment où se termine la campagne. L'histoire pourrait
s'arrêter là.
Alain Le Quernec récidive en créant pour le mois du graphisme à
Echirolles (une rencontre annuelle renommée) un détournement du Saint
Sebastien de Mantegna qui se retrouve désormais percé de cigarettes,
orné du slogan "La pub tue" et couronné d'un blason rouge qui fait
automatiquement penser aux paquets de Marlboro. Si Philip Morris
n'interdit pas l'affichage, la firme saura intervenir efficacement
auprès du Dauphiné-Libéré pour censurer un numéro spécial -déjà imprimé
et prêt à la diffusion- qui reproduisait l'affiche. En mai 1991, le
Saint Sebastien de Le Quernec reçoit le grand prix 1991 de l 'affiche
culturelle et les 5 affiches de Quimper reçoivent une mention spéciale
du jury.
Pendant ce temps, frustré de la décision du tribunal de Quimper
j'essaye -en vain- d'obtenir de la ville et du Ministère de l'Education
Nationale qu'ils en fassent appel pour défendre la liberté
d'expression, le droit à la critique. Apparememnt nul n'a envie d'aller
ferrailler avec les géants du tabac. C'est Eddy Laurent qui nous
permettra de nous lancer à l'assaut via une procédure de "tierce
opposition": nous n'étions pas partie au premier jugement mais celui-ci
nous porte préjudice car nous avions l'intention d'utiliser les
affiches interdites donc nous avons le droit de le contester.
Le 18 septembre, le Président du Tribunal de Quimper, François Crézé,
nous donne raison dans des termes lumineux: "L'image d'une mare de
goudron s'échappant d'un paquet de cigarettes Marlboro et l'affirmation
selon laquelle la pub tue, constituent l'expression humoristique et
abrégée d'une réalité incontournable. Le caractère prétendumment
excessif de la critique doit être considéré au regard des excès
publicitaires d'une marque de tabac particulièrement agressive à
l'égard des consommateurs et du public jeune en particulier."
A
quoi rime d'écrire sur des images sans les donner à voir? Il vous
suffira de vous rendre sur le blog pour d'un clic découvrir ces
affiches et les commentaires personnels d'Alain Le Quernec sur cette
aventure.
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