"Le ministère cambodgien de la Santé a élaboré un projet de circulaire qui imposerait aux distributeurs de tabac de faire figurer sur les paquets de larges étiquettes affichant non plus seulement des petits avertissements écrits mais aussi des images sur les conséquences de la consommation de produits tabagiques.
Un texte qui doit être paraphé prochainement par le Premier ministre Hun Sen mais sur lequel, étrangement, le gouvernement ne souffle mot, pas même aux industriels concernés."
Un article intéressant par Duong Sokha
Source: ka-set.info
En ratifiant le 25 novembre 2005 la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLA) de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Cambodge s'est engagé à appliquer sur son territoire une batterie de mesures contre le tabagisme, au plus tard le 15 février 2009.
Le gouvernement cambodgien n'a donc plus que deux semaines pour engager les réformes nécessaires, parmi lesquelles l'obligation de mentionner clairement sur les paquets de cigarettes les risques liés à la consommation de tabac.
Afin de manifester sa volonté d'appliquer ce traité international, le ministère cambodgien de la Santé a élaboré un projet de circulaire qui imposerait aux distributeurs de tabac de faire figurer sur les paquets de larges étiquettes affichant non plus seulement des petits avertissements écrits mais aussi des images sur les conséquences de la consommation de produits tabagiques.
Un texte qui doit être paraphé prochainement par le Premier ministre Hun Sen mais sur lequel, étrangement, le gouvernement ne souffle mot, pas même aux industriels concernés.
Une circulaire gouvernementale pour se conformer à l'article 11 de la CCLA
L'article 11 de la CCLA oblige les 162 Etats l'ayant à ce jour ratifié (sur 168 signataires) à faire figurer des avertissements sanitaires, de préférence des images représentant les conséquences visibles des maladies liées au tabagisme, sur au moins 30% de la surface des paquets de cigarettes.
Le texte du traité fournit également aux Etats des
indications claires sur les mesures à prendre pour combattre
efficacement le tabagisme, que ce soit en matière de taxation, de
réglementation des produits ou de lutte contre la contrebande de
cigarettes.
En mai 2008, une réunion interministérielle
était organisée avec l'OMS afin de réfléchir au contenu d'une
circulaire sur les paquets de cigarettes, dont la rédaction est censée
être désormais achevée. Ce projet de circulaire, dont nous avons obtenu
une copie, irait plus loin que ce que stipule la CCLA : tous les
paquets, sur au moins 50% de leur surface, devront comporter un encart
présentant une image en couleur accompagnée d'un message
d'avertissement.
Au total, six illustrations alternatives sont prévues,
chacune montrant de façon explicite les principaux maux liés au
tabagisme : cancer pulmonaire, emphysème, maladies cardiaques,
congestion cérébrale, caries dentaires et conséquences néfastes du
tabagisme passif sur l'entourage.
Le silence des autorités
De quoi satisfaire, a priori celles et ceux qui tentent de dénoncer les méfaits de l'industrie du tabac au Cambodge. Mais, malgré nos demandes répétées, les autorités semblent peu enclines à évoquer ce projet de circulaire. Lim Thai Pheang, directeur du Centre national de promotion sanitaire, en charge de ce dossier, et rattaché au [ministère de la Santé http://www.moh.gov.kh/... (KH/EN)], refuse tout net de communiquer la moindre information.
Le porte-parole et secrétaire d'Etat au Conseil des ministres Phay Siphan n'a, lui, pas répondu à notre lettre datée du 21 janvier, alors qu'il nous avait demandé de formuler notre requête par écrit, qui se résumait à savoir quand le projet de circulaire serait adopté par le Conseil des ministres.
Quant au secrétariat général du gouvernement, il affirme ne
pas être au courant de ce texte, renvoyant la balle au ministère de la
Santé.
Dans les associations intervenant dans le domaine de
la lutte contre le tabagisme, comme l'Adra (Adventist Development and
Relief Agency), on se montre en revanche plus prolixe. Keo Krisna, chef
du programme "tabac ou santé" auprès de cette ONG, estime que les
images préventives prévues, a priori, dans la circulaire
gouvernementale, auront un impact réel sur le public et contribueront à
réduire la consommation de tabac.
"Quel que soit son mode de production, le tabac contient près de 4 000 substances chimiques. Or actuellement, le message d'avertissement frappé sur les paquets de cigarettes ["La cigarette nuit à la santé", une phrase inscrite en petits caractères depuis juillet 1998] est minuscule et ne retient pas l'attention des fumeurs, fait valoir Keo Krisna.
De plus, certains
citoyens illettrés ne le comprennent pas et ne savent donc toujours pas
que le tabac comporte des substances toxiques."
Le docteur
Yel Daravuth, agent national du programme "Initiative pour un monde
sans tabac et pour la promotion de la santé" auprès de l'OMS se réjouit
lui aussi de la perspective de cette mesure, qu'il considère comme un
signe fort de la part du gouvernement en vue de faire respecter la
CCLA... à condition qu'elle soit effectivement adoptée.
"Singapour et
la Thaïlande imposent déjà des avertissements sanitaires sur les
parquets de cigarettes, ce qui permet d'informer leurs citoyens des
effets nuisibles du tabac et de les inciter à réduire leur
consommation", rappelle le "monsieur antitabac" de l'OMS au Cambodge,
partenaire du ministère de la Santé sur ce dossier.
Plusieurs dizaines de milliers de morts
La mesure serait en effet loin d'être anecdotique : elle permettrait de
mener campagne directement auprès des quelque 1,9 million de fumeurs,
dont 1,2 million d'hommes (soit 40% de la population masculine adulte),
que compterait le Cambodge selon un sondage réalisé en 2005 par l'Adra,
l'OMS, l'Institut national de statistique et l'Université Loma Linda
(USA).
"Le tabac est un assassin qui ne dit pas son nom, contrairement
aux accidents de la route. Selon nos estimations, en 2007, 73 500
personnes sont mortes des conséquences du tabac au Cambodge", souligne
Keo Krisna. Un constat alarmant que Yel Daravuth partage, qui assure
que 90% des cas de cancers des poumons sont causés par la cigarette.
La prévention est donc plus que jamais nécessaire, affirme Keo Krisna.
Selon lui, les premières mesures déjà engagées, tant par les ONG que
par les ministères, telles que la création de "zones non fumeurs" dans
des établissements publics, hôpitaux, pagodes et écoles de plusieurs
villes et provinces, auraient déjà permis de réduire la consommation de
tabac.
L'industrie du tabac prête à collaborer
Le projet de circulaire fait toutefois à peine sourciller les responsables des sociétés qui produisent et commercialisent le tabac sur le marché cambodgien, qui se disent prêts à se plier à une nouvelle réglementation concernant le "packaging" de leurs produits.
Par la voix de son directeur des affaires réglementaires au Cambodge et au Laos, Lim Kun, le géant multinational British American Tobacco (BAT), présent au Cambodge via une joint-venture avec une ancienne compagnie d'Etat depuis 1996, dit soutenir "totalement" la volonté du gouvernement cambodgien d'inscrire les dispositions générales de la CCLA dans ses législations et réglementations nationales.
Le responsable souhaiterait
toutefois simplement être tenu informé par les autorités et l'OMS d'un
tel projet de circulaire, afin que l'ensemble des représentants de
l'industrie du tabac au Cambodge soient impliqués dans son
élaboration... s'il n'est pas trop tard.
"La position de la
BAT dans le monde ne va à l'encontre d'aucune disposition de tel ou tel
pays pas plus que de tel ou tel traité de l'OMS... Mais puisque cette
règle concerne l'industrie tabagique, celle-ci doit être invitée à
fournir ses recommandations, ne serait-ce que pour faire connaître le
temps dont elle a besoin pour l'appliquer", suggère le directeur, qui
affirme que son groupe n'a jusque-là pas été invité à participer aux
discussions sur ce texte avec l'OMS et le ministère de la Santé.
Une absence d'information et de concertation qui fait douter Lim Kun
sur l'efficacité de l'application de cette mesure.
"Une fois le texte
entré en vigueur, nous avons besoin de six mois à un an pour pouvoir
nous conformer à une telle décision, le temps d'écouler nos produits
déjà sur le marché et de commander des machines à empaqueter. Mais si
toute l'industrie tabagique y participe, la BAT sera à la pointe",
assure le directeur, soucieux d'ajouter qu'il entend bien n'émettre
aucune critique envers le gouvernement.
Quant aux
responsables du groupe Texas Tobacco, l'annonce de cette mesure ne
semble leur faire ni chaud ni froid. "Nos ventes baisseront peut-être
un peu, mais nous ne nous en inquiétons pas, parce que le principal
marché sur lequel nous écoulons nos produits cambodgiens n'est pas le
Cambodge mais Singapour où nos exportations doivent déjà être
estampillés de ce type d'avertissements sanitaires", indique Kim
Chhourn, chargé de l'administration auprès de ce groupe.
Et
rien, même après la publication de la circulaire, n'empêchera, sur le
plan légal, ces sociétés de continuer à faire la promotion de leurs
produits, que ce soit par la publicité ou des actions commerciales
directement auprès des consommateurs cambodgiens.
Quelques conseils clés pour renoncer au tabac
Dans
le cadre de ses travaux, l'ONG Adra a lancé une campagne de
sensibilisation auprès de ceux qui souhaitent arrêter de fumer.
Condition essentielle : la détermination. Ensuite, explique Keo Krisna,
responsable "antitabac" de l'organisation au Cambodge, les fumeurs
doivent tenter de repousser progressivement le moment habituel auquel
ils commencent à fumer. "S'ils ont l'habitude de fumer à dix heures du
matin, ils doivent retarder la consommation de la première cigarette de
15 minutes. Puis, ils se mettent petit à petit à réduire leur
consommation d'un paquet de cigarettes à la moitié par jour. En dernier
lieu, ils doivent jeter les paquets de cigarettes utilisés et fuir la
fumée de cigarette car celle-ci les pousse à reprendre. Si on leur
offre une cigarette, il faut juste qu'ils remercient leur interlocuteur
en lui disant clairement qu'ils ont arrêté de fumer", détaille Keo
Krisna. Un processus de durée variable : entre une semaine et trois
mois selon les fumeurs.
Sur le Net
- Texte de la Convention cadre pour la lutte antitabac , sur le site de l'Organisation mondiale de la Santé
- Monographie de l'Agence internationale pour la recherche sur le cancer (Iarc) sur la consommation de cigarettes et le tabagisme passif , réalisée en 2002
Source: ka-set.info
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