Alors
qu'en Europe les 55-65 ans continuent d'apporter leur expérience à
l'entreprise, la France a tout mis en œuvre pour se délester de ses
seniors. Patronat et syndicats commencent les premières négociations,
vendredi 11 février, pour augmenter l'activité des baby-boomers.
Serait-ce
l'amorce d'un mouvement après des années d'immobilisme et de gâchis ?
Pressés par le gouvernement, qui n'a pas tenu sa promesse de faire de
l'emploi des seniors un thème de mobilisation nationale en 2004, le
patronat et les syndicats vont se pencher au chevet des
quinquagénaires, ces laissés-pour-compte du marché du travail. Avec
plus d'un an de retard sur le calendrier prévu, ils devaient ouvrir,
vendredi 11 février, des négociations sur ce sujet - la pénibilité au
travail figure également à leur menu.
Le peu d'empressement des partenaires sociaux, et singulièrement du
Medef, à se lancer dans ces discussions en dit long sur leur embarras.
Près de quarante ans après la création - en 1967 - du Fonds national
pour l'emploi (FNE), qui permit de verser des préretraites à des
centaines de milliers de travailleurs victimes des restructurations
dans la sidérurgie, l'automobile, le textile, les vieilles habitudes
perdurent. Quoi de plus tentant, en cas de difficulté, que de se
délester de ces "vieux" avec la bienveillance, voire la complicité, des
syndicats ?
Le système, pourtant, est potentiellement traumatisant pour les
individus, brutalement relégués dans l'inactivité, déstabilisant pour
les entreprises, privées de compétences, et excessivement coûteux. Et
il y a désormais urgence : si, alors qu'elle en a pris l'engagement aux
sommets européens de Lisbonne (2000) et de Stockholm (2001), la France
ne relève pas le taux d'emploi de ses seniors, elle ne pourra ni
financer ses régimes de retraite ni faire face au choc démographique
que constitue le départ à la retraite des classes nombreuses de
l'après-guerre.
La société française vieillit. En un demi-siècle, le nombre des plus
de 60 ans va passer de 12 à 24 millions et représenter le tiers de la
population. L'espérance de vie en bonne santé s'allonge. Les jeunes, de
leur côté, trouvent un emploi stable de plus en plus tard, soit que,
victimes de la précarité, ils collectionnent les petits boulots avant
de décrocher leur premier contrat à durée indéterminée (CDI), soit
qu'ils fassent des études plus longues. La conjonction de leur
insertion professionnelle tardive et des cessations d'activité
anticipées fragilise le système de protection sociale (retraites,
assurance-chômage). Car son financement est assuré, pour l'essentiel,
par des cotisa-tions assises sur les salaires d'une tranche d'âge très
resserrée, les 25-49 ans.
CHÔMAGE DE LONGUE DURÉE
En juin 2003, lors de l'examen au Parlement de la réforme des
retraites, Jean-Pierre Raffarin avait indiqué aux députés qu'il
faudrait convaincre les entreprises de ne plus licencier leurs
quinquagénaires. Le ministre des affaires sociales, François Fillon,
avait précisé l'objectif : "Faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 ans à 59 ans." Faute de quoi, avait-il ajouté, "l'augmentation programmée de la durée de cotisation serait impraticable".
Avec la loi du 21 août 2003, l'âge de la mise à la retraite d'office
a été reporté à 65 ans, la décote par année manquante de cotisation -
qui minore la pension - a été maintenue et une surcote de 3 % par année
supplémentaire d'activité a été créée en faveur des personnes qui
décident de travailler au-delà de 60 ans. Parallèlement, l'Etat a
quasiment cessé de financer les préretraites.
Mais ces mesures n'ont pas plus réussi à inverser la tendance que ne
l'a fait la contribution Delalande, qui pénalise financièrement les
entreprises licenciant leurs salariés âgés. Et, quoi qu'aient fait
gauche et droite depuis une vingtaine d'années, la détérioration du
marché du travail finit toujours pas peser sur les plus de 50 ans.
Ce sont eux qui viennent grossir les rangs des chômeurs dispensés de
recherche d'emploi (et non pris en compte dans les statistiques
officielles) et qui paient, en général, le plus lourd tribut au chômage
de longue durée.
A tel point que, après les deux années de forte augmentation du
chômage de 2002 et de 2003, le directeur général de l'Association pour
l'emploi des cadres (APEC), Jacky Chatelain, estimait, en 2004, qu'un
quinquagénaire au chômage n'avait pratiquement aucune chance de
retrouver un emploi stable. Un constat partagé par le président du
groupe QuinCadres, Olivier Spire, qui voit l'avenir pour les quinquas
du côté de missions ponctuelles.
Toutefois, les départs progressifs à la retraite, dans le privé
comme dans le public, des personnes nées dans l'immédiat après-guerre
changeront, au moins partiellement, la donne. Sauf à recourir de
nouveau, massivement, à une main-d'œuvre immigrée, les entreprises,
l'Etat, les hôpitaux et les collectivités locales ne pourront pas faire
face à leurs besoins sans garder leurs salariés vieillissants. Ce qui
nécessitera d'aménager les postes et les horaires de travail, et
d'inventer des formes plus souples de transition vers l'inactivité que
la retraite "couperet". Certains secteurs, comme l'automobile,
l'assurance ou les banques, s'y préparent activement.
Claire Guélaud
Prévenir l'usure professionnelle
Une négociation sur la pénibilité au travail doit se dérouler
parallèlement à celle sur l'emploi des seniors. Comme cette dernière,
elle est censée déboucher sur la conclusion d'un accord national
interprofessionnel, suivi de négociations de branches. Parmi les thèmes
probables des discussions des mois prochains figurent l'identification
et l'évaluation précises des facteurs de pénibilité par poste de
travail, la prévention accrue de la santé en milieu professionnel, la
reconnaissance de l'usure au travail, voire, éventuellement, la mise en
place de congés spécifiques financés par les entreprises.
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