Tribune publiée dans Le Monde du 18 septembre avec accès réservé aux abonnés, mais copiée ci-dessous. Le titre plutôt mièvre (à mon goût): 'Santé: l'absence de politique publique forte dans le domaine de la santé visuelle pose question". Les 4 signataires (ci-dessous) ont-ils la moindre chance d'obtenir une réponse? Les signataires de cette tribune sont : Stéphane Gaillard, directeur de l’Institut national des jeunes aveugles (INJA) ; Sylvain Nivard, président de l’association Valentin Haüy ; Nicolas Peju, directeur de l’hôpital national des Quinze-Vingts ; José-Alain Sahel, professeur d’ophtalmologie, directeur de l’institut hospitalier universitaire (IHU) ForeSight.
Moins on voit, moins on est vu. Les personnes qui perdent la vue, perdent aussi, progressivement, leur autonomie et leur place dans notre société. Ce processus de retrait ou de repli de la vie sociale est en grande partie lié à l’impact physique et psychique du handicap visuel. C’est une double peine pour des personnes qui sont déjà confrontées à l’angoisse terrible de la perte totale ou partielle d’un sens qui, à lui seul, apporte près de 80 % de la perception du monde qui nous entoure.
Cette mécanique d’isolement social et de perte d’autonomie s’est d’ailleurs malheureusement amplifiée avec l’explosion de la numérisation de nos actes de la vie courante. L’association Valentin Haüy l’a d’ailleurs récemment souligné lors d’une campagne de sensibilisation pour faire prendre conscience des difficultés spécifiques que posent les usages du numérique aux personnes en situation de handicap visuel.
Au-delà de cette fracture numérique, c’est plus globalement une fracture sociale qui menace toutes les personnes dont la vue s’abîme. Face à ce constat, la politique publique esquissée pour maintenir et développer l’autonomie des personnes touchées par le handicap visuel manque d’ambition. Comme l’a encore souligné l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), on note en France, pour l’ensemble de la filière visuelle, « une quasi-absence de stratégie au plan national et régional » et des données épidémiologiques largement « insuffisantes ». Ni la « stratégie nationale de santé », définie par le ministère de la santé, ni les « projets régionaux de santé », élaborés par les agences régionales de santé (ARS), n’identifient des axes forts d’intervention consacrés à la santé visuelle.
Une situation qui ne va pas s’améliorer avec le temps
L’absence de politique publique forte dans ce domaine pose question dans un contexte où l’offre d’accueil, d’orientation, de suivi médical et médico-social et de prise en charge des personnes en situation de déficience visuelle est globalement très insuffisante. Cette insuffisance d’offre est criante dans l’ensemble des régions. Ainsi, en Ile-de-France, une seule institution propose quelques places en soins de réadaptation pour les personnes en situation de handicap visuel, avec par conséquent des listes d’attente de plus de deux ans !
Cette situation est d’autant plus étonnante qu’il s’agit d’un enjeu de santé qui touche des millions de Français. En ce qui concerne le handicap visuel c’est près de deux millions de personnes qui sont concernées. Cela ne devrait pas s’améliorer dans les années à venir, bien au contraire. Les projections démographiques montrent que, avec le vieillissement de la population, les pathologies visuelles, souvent corrélées à l’âge (DMLA, glaucome), vont augmenter très sensiblement.
Ainsi, à titre d’exemple, l’Observatoire de la santé d’Ile-de-France prévoit 30 % d’augmentation d’activité d’ici à 2030 pour les pathologies prises en charge à l’hôpital des Quinze-Vingts, établissement parisien à vocation nationale spécialisé en ophtalmologie. Grâce à l’accord de l’ARS Ile-de-France et, il faut l’espérer, prochainement de la Ville de Paris, un ensemble de services associant des activités de rééducation et d’accompagnement à la vie quotidienne pour des personnes souffrant d’atteinte de la vue sera mis en place en 2023 au sein du site de l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris, en partenariat avec l’association Valentin Haüy et l’Institut national des jeunes aveugles.
Développer en priorité la prévention
Ce pôle d’excellence permettra aussi, avec l’institut hospitalo-universitaire (IHU) ForeSight, de dynamiser la recherche et l’innovation dans un domaine où les progrès scientifiques et technologiques peuvent apporter beaucoup pour maintenir l’autonomie physique et sociale des personnes concernées. Cependant, l’inadéquation marquée entre les besoins de prise en charge et l’offre restera durable si une politique nationale ambitieuse n’est pas lancée pour définir et mettre en œuvre un plan de développement de l’offre de services médicaux et médico-sociaux afin de préserver l’autonomie des personnes en situation de déficience visuelle.
Au-delà de l’offre de soins, cette stratégie doit impérativement intégrer un axe consacré à la prévention pour des pathologies dont le dépistage précoce permet de retarder et de limiter sensiblement les effets sur l’autonomie des personnes concernées (et in fine de coûter moins cher à la collectivité en soins). Cette exigence suppose, en particulier, un effort de détection et de prise en charge dès le plus jeune âge et un accompagnement sur le long terme au cours de la scolarité.
Pour un jeune déficient visuel, plus l’apprentissage de l’autonomie est précoce, plus son insertion dans la société sera aisée ! Améliorer l’accès à l’autonomie des personnes en situation de handicap visuel implique également une mobilisation forte des collectivités territoriales pour organiser au plus près de l’environnement de vie de ces personnes un travail d’accompagnement et médico-social.
Le nouveau gouvernement a manifesté son intention de porter fortement les enjeux de prévention en santé, de prise en charge du handicap et d’inclusion dans la société. Nous appelons la puissance publique à confirmer ses intentions par des actes et à entreprendre la définition et la mise en œuvre d’une « stratégie nationale de santé visuelle » ambitieuse, au bénéfice des millions de Français touchés par la perte de ce sens si essentiel.
Ci-dessous Mon commentaire/contribution (limitée à 1000 signes), pour le moment la seule publiée.
19/09/2022 - 21H34
Les auteurs (et l'IGAS) évoquent des données épidémiologiques insuffisantes sur les "déficiences visuelles" mais ils ne semblent pas pointer la responsabilité majeure de la CNAM qui recueille toutes les données statistiques, y compris celles concernant -par exemple- les traitements effectués pour la DMLA. Mais quand j'ai demandé au DG, Thomas Fatôme, si elles pouvaient être communiquées, on m'a répondu qu'elles n'existaient pas, ce qui -évidemment- est contraire à la vérité. Pourquoi la CNAM cache-t-elle ces données? Googlez Système National des Données de Santé, ou ses versions anglicisées "Health Data Hub' ou autre site "Data Pathologies". La CNAM possède ces données mais ne les exploite pas. Tant que l'on ne sait pas combien de personnes sont atteintes, traitées, où, quand, à quel coût, le problème demeure invisible, caché. Toutes les données doivent être partagées par la CNAM, en temps réel (pas seulement celles de 2018) et en détail, par région, département, ville. Mr Fatôme?
Le 'chapeau' de la tribune, reproduit ci-dessous, évoque "près de deux millions de personnes', mais d'où vient ce chiffre? Que nous dit-il sur la situation dans notre ville, notre département, là où localement il faut, il faudrait organiser les aides à fournir? Rien.
"Alors que près de deux millions de personnes sont malvoyantes ou non voyantes en France, et que les projections démographiques anticipent une augmentation, la politique publique esquissée en ce domaine manque d’ambition, alertent, dans une tribune au « Monde », quatre spécialistes du handicap visuel."
J'en profite pour rappeler l'existence de la video produite en 2019 par Annie Alcabes, qui renvoye aussi à la pétition qu'elle a initiée. Complètement ignorée :(
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