LE POINT a posé trois questions à Claude Evin, député PS et ancien ministre de la santé, qui juge que la décision du gouvernement de repousser le texte sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics est une « faiblesse sur un sujet qui ne fait pourtant pas polémique » puisque 80% de Français sont favorables à cette interdiction. A la question « ne faut il pas convaincre avant de contraindre ? » il répond "on n'a pas besoin de convaincre les Français sur une mesure aussi populaire". Observant « qu'étrangement l'industrie du tabac est restée silencieuse dans cette affaire, bien qu'elle forge les réactions hostiles des buralistes et des restaurateurs », le député souligne que ce phénomène avait « déjà été constaté 1991 » où après les interdictions concernant la publicité sur le vin et le tabac « les professionnels de la publicité maniaient de la même manière les viticulteurs ».
Dans l'EXPRESS un débat entre Claude Evin et l'avocat Mathieu Laine
sur le thème « faut - il bannir le tabac des lieux collectifs ? ». Le député socialiste affirme qu'aujourd'hui « il est nécessaire d'imposer une interdiction totale de fumer dans tous les lieux à usage collectif » et il se dit partisan de « supprimer la disposition qui autorise la création d'espaces pour fumeurs » sachant que chaque année, 3000 personnes meurent du tabagisme passif.
L'avocat, qui précise ne pas fumer et ne pas être financé par les fabricants de cigarettes, dit que son combat porte « sur la défense de la liberté individuelle et de la responsabilité personnelle » car aujourd'hui « L'Etat se prend pour une nounou qui nous dit « ne fais pas ci, ne fais pas ça » » tant sur le sujet du tabac que de l'alcool ou de l'obésité. Selon lui « la liberté ne doit pas être présumée coupable ».
A une question sur l'articulation de la loi et de la responsabilité individuelle, Claude Evin répond «
le rêve d'une société idéale dans laquelle les hommes naturellement
bons s'organiseraient de manière intelligente ne correspond pas à la
réalité » et il ajoute « nous avons besoin de règles, la loi est là pour ça. Pour défendre également le faible face au fort ». Il souligne « en
matière de tabagisme que certains prennent des risques, cela les
regarde. En revanche la réglementation est nécessaire pour protéger les
personnes exposées à un risque qu'elles n'ont pas choisi ».
Pour Mathieu Laine «
le monde n'est pas divisé entre forts et faibles (…) les non fumeurs ne
sont pas tous des faibles qu'il faudrait protéger contre l'agression
des fumeurs - les forts ». Et selon lui, les 3000 morts évoqués sont essentiellement des gens exposés au tabagisme de leur conjoint « des cas sur lesquels la loi n'a pas prise ».
Interrogé sur les solutions préconisées pour « pacifier les relations entre fumeurs et non fumeurs » Mathieu Laine dit que « l'absence de loi n'est pas synonyme d'absence de normes » et il évoque « règles de politesse » et « code de bonne conduite » « auxquels il faut faire confiance
». Il se dit partisan également de la coexistence de restaurants où la
cigarette serait interdite, d'autres totalement fumeurs et aussi
d'établissements mixtes, pour estimer que « si on laissait faire le marché, les lieux collectifs non fumeurs se développeraient ». « Croyez moi » dit- il « il vaut mieux « laisser faire » ». Réponse de Claude Evin « vous ne pouvez pas faire abstraction des intérêts économiques en jeu » qui ne vont pas toujours dans le sens de l'intérêt de la santé publique.
Question « doit on protéger les salariés exposés à la fumée au travail ?». Pour l'avocat ce n'est « « pas le rôle de la loi » mais « celui des partenaires sociaux », les entreprises devant avoir la liberté de s'organiser pour que fumeurs et non fumeurs « puissent cohabiter sereinement ». «Vous connaissez mal la situation » rétorque le député qui souligne qu'un nombre « ahurissant » de salariés se plaignent du non respect de la loi sur les lieux de travail.
Quand
on leur demande si on peut s'en remettre au savoir vivre alors que le
coût de la cigarette est supporté par la collectivité et non par
l'individu. ML répond que « si on prend prétexte de la faillite
de la sécu pour proscrire les comportements à risques (…) on
n'interdira pas seulement le tabac ». Pour lui « celui qui provoque les dommages doit en supporter les coûts » c'est pourquoi il faut « développer l'assurance privée
», la cotisation payée dépendant du mode de vie. Pour CE, dès lors que
les soins sont pris en charge par le système de solidarité nationale, «
l'Etat ne peut se désintéresser du coût des conduites à risques ».
Interrogation du Point : « l'Etat protège t-il trop ses citoyens ? ». Réponse de ML « il les infantilise ». CE juge pour sa part que « c'est à la représentation démocratique de définir l'intérêt général » sachant qu'il ne « faut pas brandir la loi à tout bout de champ » car l'efficacité de certaines lois « reste à prouver
», notamment le texte prévoyant de mettre des mentions à l'intention
des femmes enceintes sur les bouteilles d'alcool, qui est "ridicule" puisque « la loi ne peut pas se substituer à la volonté individuelle ». Pour ML « à force de prévention et de protection, l'Etat a déresponsabilisé les Français » et « le tabac n'est qu'une des illustrations de cette dérive ». Point de vue de CE « il faut que l'Etat fasse de la pédagogie donne des explications » mais dit -il «
je me refuse à considérer qu'on change les comportements uniquement en
interdisant. La loi a permis une prise de conscience mais elle ne
proscrit pas le tabac ».
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