Le 29 juin 2005, au moment de la décision de la Cour de Cassation rendant les employeurs responsables des maladies liées au tabagisme passif de leurs salariés, HPJ avait déjà commis pour la rubrique Rebonds de Libé une tartine intitulée Pourquoi arrêter de fumer. Il recommence aujourd'hui avec "Nouvelle terreur contre les fumeurs". Quel autre sociologue du CNRS lui répondra?
Il ne s'agit plus des dangers provoqués par la tabagie, mais d'une réorganisation des liens sociaux par délation.
Nouvelle terreur contre les fumeurs
Par Henri-Pierre JEUDY
QUOTIDIEN : vendredi 5 janvier 2007
Par
Henri-Pierre JEUDY
sociologue au CNRS-Laios.
Certains commencent à dire que fumer est un acte politique. Un
acte «engagé» dans une société qui n'organise pas seulement la
chasse aux fumeurs mais qui vilipende la tolérance elle-même.
«Celui qui est tolérant envers les fumeurs ne fait pas preuve de
tolérance mais de faiblesse et de lâcheté, car tolérer
l'intolérable est une attitude suicidaire.» Ceux qui manifestent
encore un respect de la liberté à l'égard de ceux qui portent la
mort autour d'eux deviennent complices d'un suicide collectif.
Finie la complaisance envers les fumeurs qui tuent ! Il faut leur
opposer une procédure collective d'extermination et ne plus les
laisser bénéficier des vertus sociales du civisme. Aucune
courtoisie n'est possible envers ces destructeurs de la vie
humaine. Ils ne méritent pas la moindre considération, ils veulent
notre mort.
Bien plus : ils en ont conscience. Mais qui ne souhaite pas la
mort de son prochain quand celui-ci est trop gênant ? Céline
écrivait que, chaque jour, un homme avait envie de tuer au moins
cinquante personnes. Dans une société soucieuse de gérer au mieux
les risques qui la menacent, il ne s'agit plus de discuter la
légitimité des interdits, mais de faire appel à une fonction
salvatrice de la répression. Jusqu'à présent, on évaluait les
risques, on parlait d'
«individu à risque», on tentait de gérer
«les populations à risque»... Il faudrait en finir avec cette
stratégie sanitaire, la prophylaxie ne semble conforter qu'une
tolérance devenue coupable au regard d'une dangerosité croissante.
Si la menace est partout, il faut en éradiquer les causes et les
effets en rendant la vie impossible à ceux qui la produisent.
Joli tableau de société ! La chasse aux fumeurs ne peut être de
toute évidence qu'un prétexte pour mettre en oeuvre une
légitimation des haines collectives contre les faiblesses d'un
civisme condamné pour sa coupable mansuétude. Le moralisme n'est
plus une défense des valeurs, il devient une arme offensive de
protection. Et les tolérants, ceux qui défendent les libertés, sont
traités comme des faibles quand il faut savoir choisir son camp. La
pacification provoque la déliquescence des comportements, la guerre
est le meilleur moyen de survivre. Tel serait ce nouvel appel à un
totalitarisme fondé sur la nécessité indubitable de la survie
collective. «L'individu à risque» coûte trop cher à une société qui
ne peut plus se permettre de tolérer les aventures suicidaires de
ses membres. La manière la plus judicieuse d'approcher le «risque
zéro» n'est-elle pas de supprimer les personnes qui sont facteurs
de risque ? Pour y parvenir, il faut passer par la délation
organisée, dénoncer les coupables, les poursuivre en justice...
Inutile de s'attaquer aux autres modes de pollution ! La
focalisation sur la tabagie présente l'avantage de donner un visage
à la menace.
En s'acharnant contre les fumeurs, on se confronte à la
visibilité du mépris de la vie humaine. Même s'il n'y a pas que le
tabac qui tue, les autres modes de destruction produits par les
sociétés contemporaines sont rendus moins visibles afin que seule
la référence à la pureté ambiante de l'air sans tabagie soit le
rêve de l'avenir. Il est vrai que fumer peut apparaître comme un
acte ostensible d'autodestruction, alors que bien des actes
polluants ne présentent pas une pareille détermination.
L'automobiliste ne pollue que par nécessité, il n'appuie pas sur
l'accélérateur pour le plaisir d'envoyer du gaz carbonique dans
l'air. Il est presque innocent, tandis que le fumeur, dès qu'il
allume une cigarette, veut entraîner les autres dans sa propre
mort. C'est un terroriste.
On peut comprendre comment une société parviendrait à légitimer
le droit de supprimer la vie de ceux qui la menacent pour se
protéger des désastres qu'elle encourt. Le moralisme qui se propage
au nom de la survie collective ne sert que de décor mental à une
opération sanitaire qui ressemble à s'y méprendre, aux abattages de
poulets et autres gallinacés pour tenter d'arrêter la grippe
aviaire. Puisque l'espace public est un territoire de
contamination, il faut endiguer l'épidémie de tabagie en utilisant
les mêmes moyens que dans la lutte organisée contre tout phénomène
endémique.
Et c'est l'autodestruction du fumeur qui devient elle-même
destructrice parce qu'elle est aussi sournoise qu'un virus, parce
qu'elle se communique malencontreusement comme un signe ultime de
la liberté, parce qu'elle semble dire «la liberté ou la mort».
Quand on pense que, pour beaucoup, allumer une cigarette reste
encore un acte anodin... C'est fini. On fume sur une scène tragique
où se joue le destin du corps social, de ce corps qui survivra
grâce à la démultiplication des normes de survie, des normes qui,
coûte que coûte, le maintiennent en bonne santé. Pareilles normes
sont définitivement débarrassées de l'arbitraire qui les constitue,
elles imposent une nécessité vitale pour tous à l'état pur.
Quand, sur les photographies de Jean-Paul Sartre, sa cigarette
lui a été retirée de ses doigts, ses doigts ont présenté au regard
public ce léger écartement qui en laissait le souvenir. En
observant au plus près sa main sur le côté, on pouvait remarquer
qu'on lui avait vraiment dérobé son éternelle dernière cigarette.
Ce qui lui manquait, ce qui lui avait été enlevé au nom de la
bienséance qui caractérise notre époque, c'est une partie de
lui-même.
Cette partie qui pourrait nous laisser abusivement croire que la
cigarette aide à penser la société. Pourtant, les signes d'une
consommation effrénée du tabac qu'offrent les images des temps
passés semblent vécus dans la joie, si on en croit les visages
réjouissants des stars avec leurs fume-cigarette. C'est cette
vision anachronique du bonheur de fumer qu'il faut éradiquer
aujourd'hui. La chasse aux fumeurs en s'inscrivant rétroactivement
dans l'Histoire se donne les artifices d'une correction
patrimoniale qui lui permet de prendre son envol pour l'avenir.
Les images d'autrefois sont-elles une source de contamination ?
Dans une logique prophylactique imparable, il vaut mieux ne
négliger aucun risque. Les portraits des morts, sans cigarette au
bec, auront au moins l'air de vrais cadavres avec leurs lèvres
écartées autour d'un trou.
On pourrait s'étonner aussi de voir combien les stratégies
habituelles de la victimisation collective sont malmenées. Au lieu
d'adopter le comportement de victime, les fumeurs et les
non-fumeurs font front.
Finies les doléances qui entraînent des compromis et de la
tolérance ! Fini le consensus autour de l'adage usuel «nous sommes
tous des victimes» A la place de la séparation entre «espace
fumeur» et «espace non-fumeur», il y a désormais les tueurs face
aux défenseurs irréductibles de la vie saine. La société se
réveille : à l'irresponsabilité des victimes succède la
détermination des guerriers protecteurs du devenir de l'humanité.
Chacun est appelé à être responsable du respect des interdits de
fumer. Il ne s'agit plus seulement des dangers provoqués par la
tabagie, mais d'une réorganisation des liens sociaux par la
délation. Ce triste principe, bien connu dans l'histoire, permet
d'assurer une meilleure cohésion du corps social grâce à
l'exacerbation de la stigmatisation des fumeurs.
Auteur d'
Addiction (la dernière cigarette), éditions Maxmilo.
http://www.liberation.fr/rebonds/226760.FR.php © Libération
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La chronique du 29 juin 2005 (extrait de la revue de presse de la MILDT)
« Pourquoi arrêter de fumer ? » interroge le sociologue, Henri Pierre Jeudy, à la rubrique Rebonds de LIBERATION.
Selon lui « le moralisme hygiéniste qui interdit la cigarette relève de
la convention et de la haine de soi ». L'auteur qui affirme que « même
la peur du cancer n'est qu'une piètre motivation au regard des
conventions qui nous conduisent à reconnaître qu'au fil du temps de
plus en plus de gens cessent de fumer » affirme que « la cigarette est
devenue anachronique » et que « d'arme de séduction » qu'elle était,
elle est devenue « arme de mort ». Et il stigmatise : « qu'on revisite
l'histoire en retirant toutes les cigarettes des mains et des bouches
des stars du 20ème siècle, voilà bien une attitude moraliste qui
outrepasse toutes les raisons sanitaires ». Considérant que « personne
ne peut ignorer les dangers que provoque le tabac » il se demande
« comment extraire encore une cigarette de son paquet quand il est
écrit sur l'emballage : fumer tue ». D'après lui, « le « principe de
cette affirmation péremptoire est de vous convaincre que vous ne
choisissez pas, que vous êtes une victime consentante du travail de la
mort » car seul « a acquis la fierté de sa liberté celui qui ressent
combien il a vaincu le pouvoir de la mort en cessant de fumer ».
Pourtant dit -il « l'idée d'une survie meilleure n'est pas
réjouissante » car « il faudrait (...) pouvoir accepter joyeusement les
obligations mortifères pour survivre dans les meilleures conditions ».
Admettant que « l'ambiance contemporaine (soit) au moralisme
hygiéniste », il juge en revanche « insupportable, le totalitarisme que
celui-ci représente dans la vie quotidienne » où « le fumeur est accusé
de s'approprier abusivement l'espace public ». Et ce constat « dans
quelle mesure le fumeur peut -il légitimement réclamer son espace pour
fumer ? S'il est « porteur de mort », il faut qu'il le reconnaisse et
s'exclue lui-même ». Assurant que dans tous les manuels pour arrêter de
fumer, « il est toujours fait appel à la honte de soi », Henri Pierre
Jeudy, en déduit « il faut avoir horreur de « soi fumant » pour cesser
de fumer » mais « cette horreur suppose que toute la période de vie
durant laquelle j'ai fumé devienne le cauchemar de mon existence ». Se
qualifiant de « dernier Mohican de la cigarette » de « primitif
incapable d'abandonner son rituel favori » le sociologue au CNRS
affirme « la liberté n'est pas le contraire de la dépendance. Ce serait
trop simple » et comme « chaque cigarette s'accompagne d'une pensée,
d'une image ou même du plaisir qu'on éprouve à ne plus penser (...) le
geste de fumer est pris par celui qui le fait pour un acte
existentiel ». L'auteur qui explique que « fumer peut apparaître comme
une pratique autoérotique. Une sorte de repli sur soi même » estime que
« c'est aujourd'hui cette obscénité du fumeur qui fait l'objet d'un
opprobre ». S'interrogeant sur les méthodes de sevrage, de l'usage de
substituts jusqu'au vaccin, qui « permet de traiter l'addiction sans se
préoccuper de ses aspects existentiels », H. P Jeudy assure qu'un « tel
système thérapeutique paraît trop manichéiste quand la dépendance est
prise pour le mal absolu ». Sa conclusion « Sans doute serait - il
préférable de faire comme tout le monde. S'arrêter de fumer pour
répondre à la seule opportunité des conventions, sans chercher la
moindre motivation, parce que c'est dans l'air du temps que de respirer
à pleins poumons ».
Oui pour HPJ la cigarette, ça nuit grave.
Ce type est foutu, pétrifié dans ses croyances, malade. Prise en charge psychiatrique à envisager, je recommande Marmottant.
Rédigé par : Account Deleted | mercredi 10 janvier 2007 à 01:52