Voila un pharmacien mécontent d'être écarté du dispositif d'aide au sevrage.
Il n'y a pas que lui.
Beaucoup d'autres mesures efficaces sont passées à la trappe (pour le moment). Dont mes préférées (car gratuites): les avertissements graphiques sur les paquets et la modification du cahier des charges des chaînes de télé et des radios pour les campagnes antitabac.
Pourquoi écarter les pharmaciens, pourtant déjà formés, du sevrage tabagique ?
Tabac : une politique à la Gribouille
Par Jean-Marc LEDER
QUOTIDIEN : mardi 30 janvier 2007
Par
Jean-Marc Leder
pharmacien expert du sevrage tabagique
Au 1er février, environ quinze millions de fumeurs se verront
interdire, en France, de fumer dans les lieux publics : un progrès
incontestable dans la lutte contre le tabagisme. Malheureusement,
derrière cette avancée bien tardive au demeurant , s'entasse une
série de décisions dont l'unique objectif est de faire accepter à
la frange réfractaire de l'opinion publique les contraintes
imposées par ce décret. Si tout expert de santé publique peut
décrypter ces décisions, il est également de son devoir d'en
dénoncer l'inanité.
Une politique de prévention efficace s'inscrit dans la durée et
la continuité. Ceux qui espèrent que l'actuelle avalanche
médiatique de messages antitabac aidera les fumeurs à s'arrêter
avant le premier tour des élections présidentielles se trompent et
confondent campagnes électorales et campagnes de santé
publique.
Le budget «d'accompagnement» du sevrage tabagique est ainsi
annoncé à 100 millions d'euros, répartis en dotations pour le
développement des services de consultations de tabacologie (40
millions) et en remboursement des substituts nicotiniques (60
millions), actuellement en vente libre dans les pharmacies.
Dommage, mais il manque un zéro à ce dernier chiffre : le budget
devrait, pour atteindre les objectifs recherchés, s'élever à 600
millions ! Sauf si les comptables des finances publiques omettent
sciemment d'intégrer le coût des consultations, le coût des
formations des médecins au sevrage tabagique, le coût des campagnes
de prévention au-delà du deuxième tour de l'élection
présidentielle...
Le cas du remboursement des substituts nicotiniques est
édifiant. Le succès d'un sevrage repose essentiellement sur la
motivation du fumeur, pas sur le coût. D'autant plus que le prix
des aides au sevrage est équivalent, en moyenne, à celui de la
consommation de tabac.
Aucune étude, aucun expert ne peut prétendre que le
remboursement des traitements a prouvé son intérêt. La direction de
la sécurité sociale, sans doute inquiète du gouffre budgétaire qui
l'attend, a elle-même reconnu que les récentes expériences menées
«ne permettent pas d'affirmer qu'un remboursement par
l'assurance maladie du traitement du sevrage par substituts
nicotiniques aurait un effet de levier significatif sur la décision
d'arrêter de fumer». Il n'est pas concevable que les conclusions
des trois études de l'assurance maladie soient ignorées des
pouvoirs publics. Variable selon le profil des fumeurs, le sevrage
tabagique est généralement une succession de tentatives, réussies
ou non, menant à terme à la fin de l'addiction.
La mission commune des professionnels de santé dans la lutte
contre le tabagisme exige d'abord d'en dénoncer les errances. Ce
n'est pas faire insulte aux médecins généralistes que de constater
leur manque d'expérience dans le sevrage tabagique : ils n'ont
jamais été formés. Depuis fin 1999, suite à la conférence de
consensus de 1998 sur l'aide à l'arrêt du tabac, les substituts
nicotiniques sont en vente libre («délistage»). Les pharmaciens
d'officine ont été formés au sevrage tabagique et ont relayé toutes
les initiatives de sensibilisation antitabac. Au final, près de 55
% des fumeurs ont tenté un sevrage sur le conseil de leur
pharmacien, acteur de santé de proximité, formé et disponible
gratuitement sur une large plage horaire.
Et si un remboursement doit être la règle, que ses modalités en
soient au moins cohérentes. La prescription médicale, condition du
remboursement décidée par les pouvoirs publics, implique
l'instauration de conditions restrictives : un accès limité par la
prise de rendez-vous et la consultation médicale pour être
remboursé... en quelque sorte, un «relistage» de facto. De
surcroît, un fumeur ne se sent pas malade. Pourquoi irait-il voir
son médecin plus qu'avant ? Au mépris de l'intérêt général, toutes
les recommandations visant à élargir l'accès au sevrage tabagique
issues de la conférence de consensus seraient annihilées : bel
exemple de «Service administratif rendu».
Pourquoi écarter les pharmaciens d'officine du sevrage tabagique
? La validation du «bon» donnant droit au remboursement de 50
euros, hypothèse envisagée par le gouvernement, n'est pas un acte
médical, mais un acte purement économique, strictement
administratif. Cette prérogative, dans la perspective d'une
efficacité optimale, doit être partagée entre le pharmacien, le
médecin tabacologue, le médecin généraliste, le médecin scolaire,
et même le chirurgien-dentiste, trop souvent oublié. La première
étape du fumeur vers le sevrage, c'est la pharmacie. Profiter du
tissu pharmaceutique en confiant au pharmacien, en synergie avec le
médecin, la tâche d'assumer la prescription remboursable,
apporterait cohérence et cohésion au projet.
A chaque acteur de santé d'assumer ses responsabilités et
d'orienter le volontaire au sevrage vers le correspondant adéquat
pour optimiser sa prise en charge et augmenter ses chances de
succès. La cohésion des professionnels de santé, dont la
complémentarité de compétences fait plus que jamais la force, doit
prévaloir. Il s'agit de prendre une décision de santé conforme à
l'intérêt général. Une santé publique de qualité mérite mieux qu'un
bricolage technocratique sans concertation avec l'ensemble des
professionnels de santé ni information transparente du citoyen
contribuable.
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