Le décret Bertrand sur l'interdiction de fumer en public s'applique dès février dans les entreprises, les lieux de soins et d'enseignement. Il ne fait qu'imposer une cohérence longtemps attendue entre les lois - Veil en 1976, Evin en 1991 - et les pratiques majoritaires.
Jusqu'ici,
les fumeurs ne se sentaient pas concernés par la respiration de leur
entourage. Désormais, leur entourage fait savoir, droit en main, qu'il
ne se sent pas concerné par leur envie de fumer. « C'est ton problème !
» a changé de camp.
On peut imaginer que certains le prennent mal, et il n'y a
pas de mal à en parler. La réaction allergique aux interdits peut certainement
se soigner. En remontant sans ménagement à une pathologie source, facile à
diagnostiquer, qui s'appelle l'indifférence à autrui. Or le droit à la santé
dépend du lien social. Il suppose d'en connaître les fragilités lorsque la
recherche du plaisir est livrée à la marchandisation généralisée. C'est vrai
pour la voiture, l'alcool, le tabac. Partout, de pathétiques marionnettes qui se
croient libres réclament le droit de consommer sans se soucier des dommages
causés à autrui. La santé publique procède alors par à-coups d'interdits
protecteurs. Et, quoi qu'en disent les imprécateurs, ces dispositions sont «
laïques ». Elles renforcent la possibilité de vivre ensemble. A l'inverse de la
plupart des addictions, qui détruisent le « vivre ensemble » beaucoup plus
souvent qu'elles ne le favorisent.
Serge KARSENTY
Sociologue au CNRS et membre du collège scientifique de l'OFDT (Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies)
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