Cette opinion ne fait aucune référence au thème de cette journée qui est le marketing de l'industrie en direction des femmes, ni à l'industrie en général, ni à ce qui pourrait être fait pour la prévention mais ne l'est pas: les augmentations des taxes, les vraies politiques d'information...
Point de vue Non, les fumeurs ne sont pas des proscrits !, par Olivier Bernard LEMONDE.FR | 26.05.10 | 10h46 • Mis à jour le 26.05.10 | 10h52
Le fumeur participe à la propagation épidémique du comportement." Voici ce qu'on peut lire aujourd'hui sous la plume d'un Professeur agrégé de médecine, spécialiste de tabacologie. Devrait-on désormais considérer le fumeur comme un être sans raison, dangereux, menaçant la paix sociale et la santé des honnêtes gens ? Non seulement il s'esquinte la santé mais, en plus, il met en danger la population toute entière ! Face à la difficulté médicale à aider les fumeurs, on a enfin trouvé le bouc-émissaire : le fumeur lui-même. Quelle importance si cette sentence ne s'appuie sur rien de concret ou de valide ? Les "experts" n'ont pas besoin d'études cliniques ou de références scientifiques pour accuser. Ils savent de quoi ils parlent, c'est sûr. "Le fumeur participe à la propagation épidémique du comportement." C'est dit, affirmé, pas de discussion possible. Fermez le ban.
INQUIÉTANT
Pourtant, quand on aide les fumeurs à s'arrêter de fumer, que l'on recueille leur parole au quotidien, voilà ce qu'on entend : "J'ai tout essayé" ; "Je n'y arrive pas" ;"Je ne comprends pas" ; "J'ai repris bêtement" ; "J'ai parfois le sentiment de ne pas être normal" ; "Je n'ai pas de volonté". Eh oui, les fumeurs sont des êtres humains qui vivent, souffrent, hésitent. Comme tout le monde. Et quand on creuse la question du comportement tabagique, qu'est-ce qu'on entend ? "Ma cigarette, c'est ma meilleure amie. Elle ne m'a jamais trahi. Dans les moments difficiles, elle est toujours là !" ; "Quand je vais mal, fumer me réconforte, me fait du bien" ; "Face à un stress, une baisse de moral, un doute, elle m'aide à tenir" ; "En fumant, je me sens moins seul". Le comportement tabagique est d'une complexité immense. Et les fumeurs ont des choses à nous apprendre non seulement sur leur lien au tabac, leur dépendance, leur fonctionnement, mais aussi sur nos propres difficultés, nos souffrances, et nos dépendances. Ils nous aident à repenser le soin, à remettre en cause notre pratique, à investir d'autres disciplines, comme la psychologie par exemple. Au lieu de les attaquer, et d'émettre des jugements moraux, le premier effort à faire pour un médecin n'est-il pas de reconnaître, avec humilité, qu'il n'est pas si simple d'aider les fumeurs qui viennent nous consulter ? Pour y parvenir, en effet, il faut faire preuve de patience, d'humanité, avoir l'esprit ouvert et éviter d'enfermer ces patients dans des petites cases avec un numéro dessus en forme de diagnostic écrit à l'encre indélébile.
Le 31 mai est la Journée mondiale sans tabac : et si, pour une fois, elle devenait la Journée mondiale des fumeurs ? Les fumeurs auraient la parole, ils expliqueraient, s'ils le désirent, leurs difficultés à arrêter, ils exploreraient leur tabagisme. Continuer de les montrer du doigt, geste détestable et tellement à la mode, ne fait pas avancer les choses, au contraire, et les spécialistes des addictions le savent bien.
A moins que nous ne soyons définitivement entrés dans l'aire de la stigmatisation. Des médecins semblent aujourd'hui décidés à emprunter cette voie, quitte à mettre à mal un de nos premiers devoirs, à savoir la non discrimination. Ce qui est bien inquiétant.
Olivier Bernard est médecin tabacologue.
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