Pascal Bogui: Monsieur Mohamed Ould Sidi bonjour. Vous êtes un jeune activiste bien connu dans le monde des africains francophones anti-tabac. Pouvez-vous vous présenter à ceux qui n’ont pas eu encore l’opportunité de vous connaître ?
Mohamed Ould Sidi : Je suis Mohamed Ould Sidi, le 3ème Président d' ACONTA qui est l’acronyme d' Afrique Contre le Tabac une organisation africaine de lutte contre le tabagisme qui a son siège à Ouagadougou au Burkina Faso. Je suis né sous le signe astrologique « Cancer ». Marié et père d’un petit garçon. Je suis en année de doctorat en médecine à l’Unité de Formation de recherche en Sciences de la Santé (URF / SDS) de l’université de Ouagadougou au Burkina Faso.
Nous avons été motivés par le constat au quotidien d’une fréquence élevée du tabagisme au Burkina Faso. A cette période le paysage associatif de la lutte contre le tabac était pauvre au Burkina Faso et rapidement nous avons eu beaucoup à faire parfois aux dépens de nos études. Hélas !
Pascal Bogui: Que voulez-vous dire par « le paysage était pauvre »?
Mohamed Ould Sidi : A cette période il y avait peu d’associations qui s’intéressaient à la lutte contre le tabagisme.
Quand nous avons voulu faire le point des associations qui oeuvraient dans la lutte contre le tabac, nous n’en avons trouvé qu’une seule en 2001.
C’était l’Association Burkinabé de Santé Publique, qui a effectué la 1ère enquête GYTS 2001 (Global Youth Tobacco Survey), mais ne menait pas d’actions antitabac sur le terrain et une deuxième l’ABUPAT du Pr Arouna OUEDRAOGO qui elle s’intéressait aux toxicomanies de façon générale. Mais de nos jours, la situation a bien changé.
En effet, on dénombre environ une quinzaine d’association de lutte anti-tabac regroupées au sein de l’Union des Associations Contre le Tabac au Burkina Faso (UACT).
J’en profite pour rappeler que l’U.A.C.T. est née en réponse au sponsoring honteux de l’édition 2003 du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou , mieux connu sous le sigle FESPACO 2003 ; par certaines industries du tabac installées au Burkina Faso.
Pascal Bogui: C’est d’ailleurs sous la houlette de cette Union que vous dirigez un projet financé par la Framework Convention Alliance (FCA) pour contribuer à la mise en place d’un programme national de lutte contre le tabagisme…
Mohamed Ould Sidi : En effet au sein de cette organisation forte de sa quinzaine de membres j’assume la charge de Chef de département plaidoyer.
Et c’est suite à un atelier organisé par la FCA au Niger pour le renforcement des capacités des acteurs de la lutte contre le tabagisme que l’on nous a confié ce projet.
Pascal Bogui: Pouvez vous nous indiquer les objectifs et décrire les principales activités de ce projet ?
Mohamed Ould Sidi : Je parlerai plutôt du but qui est de baisser la prévalence du tabagisme au Burkina Faso en amenant le Ministère de la santé du Burkina Faso à adopter un projet de programme national de lutte contre le tabagisme.
Pour les actions ou les activités je préfère ne pas en parler pour le moment pour des raisons stratégiques évidentes car l’industrie du tabac fiole partout.
Mais ce que je peux dire pour le moment, c’est que le soutien du public face à l’appel à la lutte antitabac doit se faire sentir par des prises de positions claires des différents acteurs de la société civile, des ONG et des Gouvernements africains car devant l’action grandissante des associations une réponse souvent est trouvée mitigé est trouvée auprès de gouvernements.
De mon point de vue, les gouvernements africains veulent protéger la santé publique mais ne peuvent se séparer de l’argent des cigarettiers d’autant plus qu’ils ne sont pas sûrs que l’application de la CCLAT va leur apporter quelque chose en retour.
On peut aussi dire que l’action des organisations de lutte contre le tabagisme est souvent contrebalancée par le lobby des compagnies de tabac.
Pour être plus efficaces dans leurs actions, les organisations antitabac devraient s’unir avec d’autres associations et ONG et aussi avec certains responsables de la société civile pour pouvoir bénéficier d’une écoute certaine de la part du Gouvernement.Cette union est déjà concrétisée au niveau du Burkina Faso par l’existence d’un cadre de concertation des associations oeuvrant dans la lutte antitabac.
Pascal Bogui: Le Burkina Faso a signé la Convention Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) le 22 décembre 2003 mais il a fallu attendre le 31 juillet 2006 pour que le Burkina Faso la ratifie. Ce long délai suggère que de nombreux obstacles se sont dressés à la ratification de la CCLAT. Que savez-vous de ces obstacles ?
Mohamed Ould Sidi : Effectivement, le processus de ratification ne s’est pas passé sans heurts.
Il y a de nombreux obstacles parmi lesquels :
-des obstacles sociaux comme l’insuffisance des ressources humaines compétentes. Cela a particulièrement retardé la ratification, car la lutte antitabac était une question nouvelle pour les associations de droit à la consommation et pour les associations de santé publique .
- des obstacles économiques car le Burkina Faso est un pays pauvre très endetté où les taxes tirées des produits du tabac apportent une manne économique non négligeable.
A ce propos, certains éléments présagent à un avenir sombre pour la santé publique dans notre pays. En effet, la culture du tabac est en pleine expansion, de même que la production locale et la consommation de cigarettes.
Ces activités génèrent une hausse importante des recettes fiscales apportées par les compagnies de tabac et du coup ces dernières se trouvent en plein cœur des politiques économiques de façon directe ou indirecte.
La structuration de l’état en central, intermédiaire et local était également un frein considérable, auquel s’ajoutait la corruption de certains cadres de l’administration obnubilés par l’argent des cigarettiers. Cela s’est traduit par les dossiers sur la CCLAT qui se perdaient ou qui dormaient dans les tiroirs.
Il a fallu un plaidoyer énorme mené par le point focal et surtout par quelques associations locales et internationales comme Afrique Contre le tabac, l’Union des Associations de lutte Contre le Tabac (UACT) au Burkina Faso, avec le soutien d’organismes comme l’Observatoire du tabac en Afrique Francophone (OTAF) basé à Niamey au Niger, et enfin de la Framework Convention Alliance ( FCA ) .
C’est d’ailleurs la FCA qui, en organisant en 2005 un atelier au Maroc sur la sensibilisation des associations et des Gouvernements à la ratification de la CCLAT, a largement contribué à débloquer le processus de ratification de la CCLAT au Burkina Faso.
Pascal Bogui: On comprend bien les difficultés rencontrées lors de la ratification. Ne craignez vous pas que ces mêmes obstacles ressurgissent et viennent entraver votre projet de mise en oeuvre de la Convention- Cadre de Lutte Anti-Tabac
Mohamed Ould Sidi : Concernant la mise en œuvre de la CCLAT plusieurs obstacles sont déjà identifiés parmi lesquels :
Des obstacles politiques: les élections législatives prochaines au Burkina Faso sont prévues le 6 mai 2007.
La nouvelle conformation de l’Assemblée Nationale pourrait ne pas être favorable au mouvement international et national de lutte contre le tabagisme.
Il faut un travail de fond en matière de plaidoyer pour convaincre les différents courants politiques des bienfaits de la CCLAT.
Ce travail ne pourra être fait que par une solidarité entre acteurs de la lutte contre le tabac avec le soutien des acteurs gouvernementaux et de la société civile.
Des obstacles administratifs: la structuration de l’état en 3 niveaux central, intermédiaire et local pourrait aussi être un obstacle à ne pas négliger ; car comme pour la ratification, la mise en œuvre sera très lente si une structure nationale de suivi de la CCLAT n’est pas mise en place.
Cette subdivision de l’administration en trois niveaux fera que les décisions centrales ou de quelque niveau que ce soit connaîtront des difficultés de mises en œuvre.
Là également, un travail de plaidoyer doit être effectué, par les associations pour manœuvrer afin de contourner les éventuels obstacles en attendant la mise en place de la structure nationale (comme par exemple un Programme national de lutte contre le tabac pour lequel nous nous battons becs et ongles).
Des obstacles institutionnels: devant la faiblesse des moyens alloués à la lutte antitabac il y a de quoi s’inquiéter.
Les associations et ONG Burkinabé, surtout, celles oeuvrant dans la lutte antitabac sont le plus souvent démunies.
Il importe de leur apporter un soutien financier sur plusieurs années avant que l’Etat puisse prendre la relève.
Des obstacles sociaux: les populations ne voient pas le tabagisme comme un problème préoccupant.
Les compagnies de tabac « maintiennent » la société civile dans l’ignorance des conséquences sanitaires dans un pays constitué à plus de 70% d’analphabètes.
Il convient de renforcer d’avantage les compétences et les capacités pour palier à ce problème.
Des obstacles économiques: la part non négligeable que constituent les taxes tirées des produits du tabac sur le budget national constitue un obstacle sérieux à l’option de prise de mesures susceptible de réduire les moyens financiers de l’Etat.
Aussi faudra-t-il élaborer une bonne argumentation au plan économique pour parvenir à convaincre le gouvernement de prendre les décisions de protection des populations contre le tabagisme, telles que l’augmentation des taxes sur les produits du tabac.
Pascal Bogui: Vous connaissez très bien votre dossier. Nul doute que vous êtes en mesure de développer un excellent plaidoyer pour la mise en œuvre de la convention-Cadre de Lutte Anti-Tabac de l’OMS. En tous cas, je vous souhaite tout le succès que méritent vos entreprises. Avant de nous quitter, avez-vous un message à livrer à nos lecteurs ?Mohamed Ould Sidi : Oui, bien sûr. J’aimerais dire que, face à ce fléau grandissant qu’est le tabagisme, notamment en raison de l’augmentation des importations et des ventes, à l’agressivité de plus en plus grandissante de l’industrie du tabac et aussi à l’inexistence d’un Programme National de Lutte antitabac au Burkina Faso, les actions de soutien aux ONG nationales de lutte antitabac initiées par la FCA viennent comme un système pour palier à l’insuffisance des moyens octroyés aux acteurs de la lutte antitabac, et aussi pour amener la société civile à s’engager d’avantage et à amener nos gouvernants à l’action.
La FCA que nous remercions au passage contribue ainsi au développement des politiques nationales de santé contre les ingérences de l’Industrie du tabac et à la protection des populations contre le fléau du tabagisme.
Pascal Bogui: Merci à vous pour cet entretien riche en enseignement sur les activités de l’ACONTA, et pour les propos flatteurs et bien mérités que vous adressez à cette coalition très active d’ONG anti-tabac qu’est la FrameWork Convention Alliance .
Mohamed Ould Sidi : Je vous en prie Monsieur Bogui. C’est moi qui vous remercie pour l’opportunité offerte à ma structure de mieux se faire connaître auprès de nos amis activistes anti-tabac de l’espace africain francophone.
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