Pascal Bogui: Bonjour, Docteur
Flore NDEMBIYEMBE ! Vous êtes présidente de l’association
camerounaise HEALTH PROMOTION WATCH qui mène des
activités de lutte contre le tabagisme. Pourriez-vous vous présenter
à nos lecteurs ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : Je suis mariée, mère de quatre enfants et grand-mère d’un petit garçon.
Au plan professionnel, je suis médecin spécialiste en Immuno-allergologie. J’exerce ma profession à l’hôpital central de Yaoundé.
Mais j’assume aussi la fonction de Secrétaire Permanent du Comité National de Lutte contre la Drogue (CNLD) depuis 1998 auprès de la Direction de la Promotion de la Santé au Ministère de la Santé Publique.
Je suis également membre du groupe d’experts interministériels camerounais sur le tabagisme.
1. Pascal Bogui: Comment vous êtes-vous intéressée à la lutte contre le tabagisme ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : C’est dans le cadre de mes activités au Comité National de Lutte contre la Drogue [C.N.L.D.] que j’ai commencé à m’intéresser au tabac.
En effet, les produits concernés par le-dit programme étaient les stupéfiants et autres psychotropes. Mais les données recueillies auprès des consommateurs de drogues indiquaient que le tabagisme était très souvent l’initiateur à la consommation de drogues plus dures.
C’est fort de ce constat que le C.N.L.D. a intégré la lutte contre le tabagisme dans ses activités, ce d’autant plus qu’à cette époque il n’existait pas de structure nationale officiellement en charge de la lutte anti-tabac.
En 2004 avec
des amis et collègues, nous avons créé l’association Health Promotion
Watch [H.P.W.], une association de promotion et d’éducation pour
la santé que je préside. Un des objectifs majeurs de HPW est
d’amener les populations à adopter des comportements sains
qui protègent leur santé et ne pas fumer en fait partie.
En septembre 2005, j’ai eu l’opportunité de participer à la deuxième Conférence Internationale Francophone sur le Contrôle du Tabac [CIFCOT II] tenue à Paris.
Cette conférence m’a donné l’occasion d’établir des contacts avec d’autres activistes anti-tabac. Elle m’a également permis de mieux appréhender les multiples aspects de la lutte anti- tabac, de voir ce qui risque d’arriver bientôt en Afrique si une stratégie adaptée de lutte anti-tabac n’était pas rapidement élaborée et mise en application.
Enfin et surtout, j’ai compris que les seules actions gouvernementales ne suffiraient pas à venir à bout de cette épidémie mondiale. A ce moment, j’ai décidé de donner une dimension supplémentaire à mon engagement dans la lutte anti-tabac.
C’est ainsi qu’à mon retour au Cameroun j’ai proposé à notre association de faire de la lutte contre le tabagisme une action prioritaire. Pour concrétiser cet engagement, nous avons élaboré deux projets : « jeunesse sans tabac » et « femmes pour la lutte anti-tabac ».
Enfin et
à titre personnel, j’ai participé en 2006 à la création de la
coalition camerounaise contre le tabac (C3T) que je préside.
2. Pascal Bogui: Pouvez vous nous indiquer les objectifs et les moyens d’action de votre association Health Promotion Watch ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : L’association Health Promotion Watch [H.P.W.] a été fondée dans le cadre de la Promotion de la Santé, en droite ligne des objectifs du millénaire des Nations Unies pour le développement relatifs à la santé et à l’environnement sain.
H.P.W. se propose de contribuer à la veille et à la vigilance sanitaire et environnementale dans le but d’améliorer le niveau sanitaire, psychologique et physique des populations sur le continent africain, de promouvoir la santé communautaire dans les pays africains et de contribuer à la réduction des maladies évitables et transmissibles.
H.P.W. plaide pour la santé dans un environnement sain, l’amélioration de l’efficacité de la promotion de la santé ainsi que la création de compétences nécessaires à cet effet.
H.P.W. se fixe comme objectifs:
- De promouvoir l’état de veille et de vigilance sanitaire et environnementale dans la perspective de la mise en œuvre des engagements internationaux relatif à la santé et à l’environnement.
- D’Agir pour faire progresser la qualité de la promotion de la santé et la protection de la nature par la diffusion de pratiques efficaces
- De Développer une opinion publique avertie sur les domaines de la santé et de l’environnement par l’information, la prévention et la sensibilisation
- De Soutenir l’intégration de la femme dans la communauté par l’éducation de la jeune fille et le plaidoyer pour une justice sociale et un traitement équitable
- De Faire le plaidoyer pour la mise en place des actions de promotion de la santé dans les communautés
- De Mettre ne place un centre de référence pour la promotion de la santé dans un environnement sain.
Les moyens d’action de H.P.W. sont la prévention, l’information, la formation, la recherche et le plaidoyer.
3. Pascal Bogui: Le programme de Health Promotion Watch est très ambitieux. De quels moyens bénéficie H.P.W. pour exécuter ses activités ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : L’association dispose d’un siège dans un local qu’elle partage avec un partenaire. Un mobilier de bureau sommaire a été acquis avec le soutien de personnes de bonne volonté.
Cependant l’équipement dont nous avons besoin pour mener à bien certains de nos projets, comme des tables bancs et des ordinateurs, manquent cruellement.
Nous désirons aussi ardemment faire de la sensibilisation de proximité dans les zones rurales mais nous ne disposons pas de matériel roulant, de chaises, etc…
Notre association dispose d’un capital humain dévoué, qualifié en matière de connaissances, de mobilisation sociale et d’éducation. Nous avons également une bonne équipe de bénévoles.
An plan des sources de financement, H.P.W. compte sur la cotisation des membres, sur les dons divers de sociétés publiques ou privées de la place, ou sur la contribution volontaire de certaines institutions internationales.
A ce titre, il me plaît de souligner que le bureau local de l’OMS apporte gracieusement son expertise à chaque sollicitation de H.P.W.. De même, le Ministère de la Santé Publique nous apporte son soutien.
Toutefois, il est difficile d’établir la liste exhaustive des sources de contribution financière ou technique. A titre d’exemple cette année 2007, dans le cadre de l’organisation des journées de prévention « journées Impact Santé 2007 », H.P.W. a obtenu entre autres le soutien de la Communauté Urbaine de Yaoundé, de la Société Nationale des Eaux du Cameroun et de la Fondation MTN.
De même, les médias locaux nous ont beaucoup appuyé en relayant amplement les activités organisées lors de ces journées.
D’autres organismes sont venus en aide à l’association
dans le cadre de formation ou encore de participation à des conférences.
Il s’agit de AMAPES stop tabac, du Réseau francophone international
de promotion de la santé, de la FCA, de l’IUPES.
4. Pascal Bogui: le nombre important
d’appui dont bénéficie votre organisation est un témoin de sa vitalité
et surtout de la confiance que les donateurs lui accordent. Félicitations ! ! !
Parmi les activités que mène H.P.W., pourriez-vous nous en décrire
quelques-unes, et notamment celles en rapport avec la lutte anti-tabac ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : En premier lieu, le fait que plusieurs adhérents de H.P.W. soient membres du groupe d’experts interministériels camerounais sur le tabagisme facilite grandement la prise en compte de la composante anti-tabac dans le programme d’activités de H.P.W..
En ce qui concerne les principales activités menées par H.P.W. dans le domaine du tabagisme, nous nous intéresserons en premier lieu au projet « Femmes pour la lutte anti-tabac » ou F.L.A.T. que nous avons évoqué précédemment.
Le projet F.L.A.T. est un projet de prévention du tabagisme dans les communautés à travers le réseau des associations féminines (tontines).
Ce projet pilote, qui est mené en partenariat avec le réseau des associations féminines et la commune de Yaoundé 5, a pour objectif l’amélioration de la santé des populations par la réduction de l’épidémie du tabagisme chez les femmes et dans les communautés.
H.P.W estime qu’en Afrique il est important d’impliquer la femme dans tous les combats importants. Car la femme est le pilier de la famille africaine traditionnelle, le centre de décisions en matière de santé et d’éducation des enfants. Malheureusement, malgré sa bonne volonté, son éducation est insuffisante, d’où l’importance de lui apporter les connaissances et les outils indispensables.
Le projet a commencé par une analyse de la situation avec une enquête auprès de la communauté ainsi que des discussions de groupes avec les femmes. Les résultats on été restitués aux populations qui ont ensuite reçues un enseignement sur les méfaits du tabagisme.
La prochaine étape est le soutien à la sensibilisation des femmes pendant leurs rencontres périodiques. Les résultats préliminaires de ce projet ont été présentés à la première conférence africaine Tabac ou Santé à Casablanca au Maroc en décembre 2006.
En dehors de ce projet-pilote, H.P.W. a mené d’autres activités, telles que :
- L’élaboration et la mise en oeuvre du « projet jeunesse sans tabac » avec principalement la sensibilisation des jeunes scolaires du primaire et du secondaire aux risques liés au tabagisme
- L’accompagnement de notre pays à la ratification de la CCLAT.
- La production et la dissémination d’outils de sensibilisation sur les méfaits du tabac pour les jeunes et les femmes : ces produits ont été distribués lors évènements d’envergure nationales et internationales (Journée mondiale de lutte contre la drogue, journée mondiale sans tabac, journée de la famille, de la jeunesse de la femme et autres…)
- La contribution à l’animation de la Coalition Camerounaise Contre le Tabac ( C3T) dont H.P.W. est l’initiatrice et la coordinatrice.
- La participation aux Journées Mondiales Sans Tabac : en 2007, H.P.W. a organisé un atelier sur « la prévention du tabagisme au Cameroun : quelles avancées depuis la ratification de la CCLAT de l’OMS ». Ont pris part à cette rencontre, des membres du groupe d’experts sur le tabagisme, des femmes membres des tontines, des leaders communautaires, des journalistes et autres ONG et associations.
- La sensibilisation des autorités sur les activités de l’industrie du tabac, notamment l’octroi des bourses d’études aux étudiants par la société BAT.
- L’information de l’opinion internationale sur la publicité du tabac au Cameroun à l’occasion de la C.O.P. II.
- L’organisation d’une consultation de sevrage tabagique
On peut dire que toutes les occasions sont bonnes pour l’association quand il faut lutter contre le tabagisme.
Nous
avons organisé cette année des journées de prévention dénommées
« Journées Impact Santé 2007 » avec pour thème principal le lavage
correct des mains avec du savon. Au cours de cette manifestation un
atelier était consacré à la prévention du tabagisme.
5. Pascal Bogui: Avec toutes ces activités à mener, les difficultés ne doivent pas manquer ! Pourriez-vous nous dire quels sont les principaux obstacles que H.P.W. rencontre dans l’exécution de ses activités, et les solutions auxquelles H.P.W. souhaite recourir pour y remédier ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : Comme partout ailleurs en Afrique, c’est d’abord l’insuffisance de moyens matériels et financiers : le manque de financement consistant et stable limite notre champ et notre rythme d’action.
Nous ne pouvons pas non plus répondre favorablement à toutes les sollicitations. Il y a aussi des dépenses incompressibles comme le loyer du siège et le salaire du personnel permanent qu’il faut assurer coûte que coûte.
La pauvreté et même la grande misère des populations pose problème.
C’est ainsi qu’une Bayam Sellam (c’est l’appellation donnée à une revendeuse locale) trouvera toujours que c’est une perte de temps pour elle de venir, même pour une heure, assister à une causerie éducative. Il faudra donc trouver le moyen de combler son manque à gagner pour la convaincre.
- Les rapports avec l’administration ne sont pas toujours faciles: certains de ces membres ne traitant pas la société civile comme un partenaire et ne la soutenant pas assez.
- L’absence de données sur le phénomène tabagique pose problème et les références et modèles en Afrique sont encore rares.
6. Pascal Bogui: Mais face à tous ces obstacles, à quelles solutions H.P.W. souhaite recourir pour y remédier ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : Il y en a plusieurs, telles que :
- Trouver des opportunités de formation à la recherche de financement et au montage de projets ;
- Développer de nouveaux partenariats ;
- Intensifier la sensibilisation des politiques et des populations afin que le tabagisme soit reconnu comme un problème de santé publique et économique majeur ;
- Organiser nos associations en réseau pour des échanges d’expériences ;
Mais s’il est aisé d’émettre des idées, leur réalisation en revanche est difficile !
7. Pascal Bogui: Quels liens H.P.W. a-t-il établi ou compte-t-il établir avec les organisations de lutte contre le tabagisme au niveau national ou international ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE: Au plan national, H.P.W. travaille en partenariat avec le groupe d’experts sur le tabagisme d’où sont d’ailleurs issus plusieurs de ces membres.
De plus, H.P.W. préside actuellement la coalition camerounaise contre le tabac et espère faire adhérer un plus grand nombre de structures à ce mouvement anti tabac
Au plan international, H.P.W. rend compte régulièrement de ces activités au bureau local de l’O.M.S avec lequel il entretient les meilleurs rapports. Suite à la COP II, H.P.W. a entrepris d’établir un lien avec le bureau Afrique de l’O.M.S.
Enfin, H.P.W. est candidate à l’adhésion à l’OTAF qui fait un travail remarquable sur le continent.
A mon humble avis, la lutte anti-tabac doit être menée de manière concertée et harmonieuse dans nos pays respectifs, ceci afin d’éviter autant que possible, la subsistance de maillons faibles, cibles futures des industries du tabac.
8. Pascal Bogui: Quelles sont les priorités que se fixe HPW pour les cinq prochaines années ?
Docteur Flore NDEMBIYEMBE :
- le vote d’une loi camerounaise anti-tabac ;
- La fin de la publicité des produits du tabac avec au besoin des poursuites judiciaires contre les sociétés qui ne respectent pas la réglementation. Une loi interdisant la publicité des produits du tabac a en effet été votée au Cameroun fin 2006 mais son application est encore problématique ;
- L’intensification des activités de sensibilisation ;
- Le développement de nouveaux partenariats ;
- La création d’un centre de référence sur le tabagisme avec des volets documentation, sensibilisation et sevrage tabagique ;
- Le marquage sanitaire des paquets de cigarettes avec une priorité aux pictogrammes, plus facilement compréhensible par nos populations souvent illettrées.
9. Pascal Bogui: Dans le domaine du partage des informations, qu’est ce que H.P.W. peut donner aux lecteurs et qu’est ce qu’elle peut attendre d’eux ou des ou des organisations éventuelles auxquelles ils appartiennent.
Docteur Flore NDEMBIYEMBE : Les réalisations de l’association nous font observer qu’avec de la volonté et de l’imagination, l’on peut poser des petites pierres qui comptent dans l’acquisition de nouvelles attitudes par nos communautés.
Il faut bien commencer quelque part et adapter nos méthodes de sensibilisation à notre environnement traditionnel. C’est ainsi qu’il faut parfois travailler avec les femmes et les hommes séparément.
Les problèmes étant souvent identiques dans nos pays, les projets régionaux peuvent permettre la mise en commun de nos énergies et de nos compétences pour plus d’efficacité dans tous les domaines dont celui de la recherche de financements de longue durée.
Sur le plan de la sensibilisation, nous avons observé que les témoignages marquent plus directement les esprits et sont plus convaincants que tous les discours. Aussi notre petite expérience nous amène à penser qu’il faut souvent être préparé et disposé à aborder d’autres problèmes de santé avec les communautés quand on vient leur parler de tabagisme.
Dans la perspective d’un échange d’expériences, je communique avec plaisir aux lecteurs les contacts de notre association :
Nous avons un site Internet : www.africahealthpromotion.org
Adresse électronique : [email protected]
Adresse postale : B.P. 12415 Yaoundé, CAMEROUN
Téléphone : 237 96 26 94 32
Siège social : Yaoundé, quartier Mvog Ada
10. Pascal Bogui: Auriez-vous un commentaire additionnel, notamment des souhaits ou conseils à l’adresse des lecteurs?
Docteur
Flore NDEMBIYEMBE : Les ravages
causés dans nos pays par les pandémies comme le VIH-SIDA, la tuberculose,
le paludisme et les financements qui leurs sont dédiés au plan international
occultent les graves problèmes de toxicomanie, le tabagisme en particulier,
dont sont victimes les populations africaines, principalement les jeunes.
Il appartient à nous, société civile, de faire la preuve de l’efficacité de ce combat dans l’amélioration des conditions de vie de nos populations en présentant des résultats probants. Le tabac aggrave la pauvreté et nous devons amener nos gouvernements à faire le bon choix en matière de tabac.
Le tabac est le parent pauvre de l’attention accordée aux épidémies du 21ème siècle. Elle mérite de ce fait la votre.
Nous ne terminerons pas cet entretien sans vous remercier pour tout ce que vous faites pour la lutte anti-tabac en Afrique. Vos interviews que nous avons eu l’occasion de lire nous ont beaucoup apporté.
Merci enfin de nous avoir donné l’occasion de faire connaître « Health Promotion Watch » et son combat pour éviter à l’Afrique un fléau supplémentaire, l’épidémie tabagique.
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