Rendez-vous 154
October 6, 2005
Voici un rendez-vous (en français) avec le Pr Albert Hirsch.
Merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Peux-tu te présenter?
Albert Hirsch: Professeur de pneumologie à Paris VII et chef du service de pneumologie à l’hôpital Saint-Louis à Paris jusqu’en Septembre 2003, je suis vice président de la Coalition contre le tabac et vice président de la Ligue nationale contre le cancer chargé de la prévention , et à ces titres directement concerné par la lutte contre le tabac en France et dans la francophonie.
Sur ce dernier point, la seconde Conférence Internationale Francophone contre le tabac a réuni en Septembre dernier à Paris 700 délégués venant de 34 pays de la francophonie dont 100 Canadiens, 60 Africains et 20 du Maghreb .Elle débouché sur « L’Appel de Paris contre le tabac » invitant la quarantaine de pays francophone n’ayant pas ratifié la CCLAT de le faire avant Novembre 2005.
Q1. Tu as participé à l’organisation de la lutte contre le tabagisme depuis de nombreuses années, et particulièrement à la préparation de la loi Evin, adoptée en 1991. Quel bilan dresses-tu de la situation actuelle par rapport à cette époque : y-a-t-il des aspects qui ont peu changé alors que d’autres ont beaucoup évolué ?
Albert Hirsch: La dénormalisation des produits du tabac est en cours (interdiction de la publicité, campagne puissante et pertinente , mise à disposition des méthodes validées d’aide à arrêter), mais deux lacunes dans le dispositif-le moratoire sur les prix de vente jusqu’en 2008 et le tabagisme persistant dans les lieux de travail et notamment dans les industries de la restauration ,les cafés, les bars et dans les établissements scolaires-menacent la cohérence du plan présidentiel contre le cancer qui fait de la lutte contre le tabac un objectif prioritaire.
Q2. En décembre 1992 tu as été au cœur de la controverse autour de l’interdiction du parrainage par les cigarettiers des course de formule 1. Le gouvernement et le Parlement avaient alors attribué des crédits (100MF) pour promouvoir la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme (puisqu’en « échange » le CNCT acceptait de retirer sa plainte contre Williams) mais ces 100MF n’ont été que très peu affectés à ces objectifs. Peux-tu expliquer ce qui s’est passé, comment as-tu vécu cet épisode, comment cette négociation (si négociation il y eu) été menée ? Penses-tu –a posteriori- qu’une autre gestion de ces 100MF aurait été possible ?
Albert Hirsch: La manière dont ces 100 millions de francs ont été négociés n’est pas conforme à ma conception de la démocratie .La conséquence de cette péripétie a été désastreuse :moins de 5% de ce budget, « notamment prévu pour la lutte contre le tabac et l’alcool »selon les termes du législateur ont effectivement été affectés à ces objectifs.
Q3. Augmenter les taxes (et les prix) des produits du tabac conduit à une baisse de la consommation (au moins temporaire) et on a pu le constater ces dernières années. Les pouvoirs publics aiment afficher leur souci de la santé publique lorsqu’ils augmentent ainsi les taxes mais cela se traduit rarement par une augmentation proportionnelle des budgets de prévention. Dans ce contexte et au delà de l’épisode des 100MF du FISP, à quel niveau penses-tu que les crédits publics devraient se situer en France pour que la lutte contre le tabagisme ait une efficacité optimale ?
Albert Hirsch: Atteindre progressivement la recommandation de l’OMS-attribuer 1% des taxes du tabac qui sont de l’ordre de 10 à 15 milliards d’euros par an- et parallèlement former des professionnels capables de réaliser des programmes efficaces me semblent la ligne à atteindre.
Q4. La première campagne médiatique officielle à la télévision sur le tabagisme passif a été diffusée à la fin de l’année 2004 et en juin 2005. Si le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy s’en est félicité, on peut néanmoins constater et regretter qu’il ait fallu attendre 13 ans après le vote de la loi Evin pour obtenir un tel résultat. On a évoqué les réticences des syndicats ouvriers et l’influence de l’industrie au sein du MEDEF pour expliquer l’absence d’information sur le tabagisme passif dans les campagnes médiatiques menées sous le contrôle de la CNAMTS. Qu’en penses-tu et quels remèdes éventuels pourraient être apportés à cette situation ? La solution Californienne où la gestion des campagnes est confiée à un organisme indépendant te paraît-elle transposable en France ?
Albert Hirsch: Il y a des éléments favorables à l’interdiction
totale de fumer sur les lieux de travail clos et couverts sur le modèle
Irlandais :l’opinion y est favorable (en octobre 2004, en faveur de
l’interdiction totale 74% sur les lieux du travail, 72% dans les
restaurants et 65 % dans les cafés, adhésion de nombreux syndicats à
l’exception notable de ceux représentant les industries hôtelières et
de la restauration largement subventionnés par l’industrie du tabac).
Toutefois au sein du gouvernement il y a des réticences qu’expliquent
en partie la proximité toute relative des échéances électorales
(présidentielle à la mi 2007 !).
Je ne suis pas certain que nous en sommes au niveau de la Californie.
La Ligue contre le cancer s’investit dans une démarche de mobilisation
citoyenne grâce à ses 700.000 adhérents afin d’entrainer un mouvement
populaire puis parlementaire pour obtenir la protection de la santé sur
les lieux du travail. °.
Q5. En conclusion de ton livre « Le prix de la fumée » (coécrit avec Serge Karsenty), tu t'interrogeais en 1992 sur le retard de la France en matière de santé publique. La situation te semble-t-elle très différente 13 ans plus tard? Y-a-t-il davantage de médecins et d’épidémiologistes impliqués, les populations les plus vulnérables sont-elles mieux servies, mieux protégées, mieux informées ?
Albert Hirsch: Ce livre n’a malheureusement pas beaucoup
vieilli. Certes des progrès ont été acquis :lorsque le ministère de la
santé m’a chargé du premier rapport sur ce sujet en 1986, soit plus de
20 ans après le rapport du Royal College of Physicians en 1962 au
Royaume-Uni et du Surgeon General en 1984 aux Etats-Unis, moins de 10
personnes en France étaient concernées par ce qui était déjà la
première cause de mortalité prématurée. Nous ne sommes plus dans cette
configuration et je pense, après avoir été longtemps sceptique, que
l’on ne reviendra plus en arrière et que l’on s’achemine tout doucement
vers une société sur le modèle des pays les plus avancés dans ce
domaine.
Il y a toutefois beaucoup de progrès à faire dans un pays qui consacre
plus de 10 % de sa richesse nationale aux soins et non à la santé (le
rapport entre le curatif et la prévention primaire est de l’ordre de
1000 pour 2 à 3). Le lobbying et l’advocacy (terme difficile à traduire
en français) restent les méthodes qui ont fait leur preuve et s’avèrent
plus que jamais indispensables si l’on veut rejoindre les standards
internationaux.
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